Grand-mère

Texte dit pour ma grand-mère



Maman Jeannette. Pour moi, c’était Maman Jeannette. C’était ma grand-mère, la mère de mon père. 3 générations. Même 4, les arrière-petits enfants, mes enfants, ont 10 ans déjà.

Si aujourd’hui, je perds ma grand-mère, c’est que j’ai eu la chance de la connaître. C’est courant peut être, mais pas automatique…


Une grand-mère. Pour un enfant, un petit enfant. C’est immense une grand-mère. C’est tout un continent ! La maman de mon papa. Fichtre ! Que de souvenirs. Et pourtant je n’ai surement connu qu’un tout petit bout de ce qu’elle était.


La pulsation de la vie est partie de son corps. Et pourtant elle était plus que ce corps dans ce cercueil. Avant, sa mémoire et même sa conscience étaient déjà parties, petit à petit. Et pourtant elle était plus qu’une malade d’Alzheimer. Encore avant, elle était dans un fauteuil roulant. Et pourtant elle était plus qu’une personne handicapée. Avant, elle était aussi grand-mère, belle mère, mère, épouse, amoureuse, amante, amie, femme, tante, sœur, fille… etc. Les liens entre nous. Elle était aussi tout ce qu’elle a fait dans sa vie. Elle était tout ce qu’elle a pensé et surtout ressenti… etc. Et pourtant elle était encore PLUS que tout ce que disent ces mots. Elle était surement même plus que ce qu’elle connaissait d’elle-même. Un être humain. Jeannette Gouguet.


Pour moi (j’en parlais avec une amie, il y a 2 semaines), elle est quelque chose autour de la joie. C'est-à-dire « cette capacité à se réjouir de ce qui est ». Ca marque un enfant, une grand-mère en fauteuil roulant ET joyeuse. Pour moi, il y a cette facette. La joie. Et il y en avait d’autres. Chacun pourrait dire la sienne. Mais elle était surement plus que ce que chacun a connu d’elle, par petites touches. Un être humain.


C’est pour ça qu’il faut nous réunir dans ces moments. Comme les pièces d’un puzzle. Mais ici, nous FAISONS le puzzle avec nos mots et nous SOMMES le puzzle. Et elle avec nous.

Le puzzle de la vie. Tout ce qui nous fait devenir. Le cycle de la vie. Et la mort qui va avec. La vie. La mort. La vie. La mort… Ma grand-mère EST morte. C’ETAIT ma grand-mère. Non, je peux dire « ma grand-mère ETAIT morte ». C’était dimanche. C’est passé. Et je peux dire « c’EST ma grand-mère ». Oui, c’EST ma grand-mère. Le lien ne meurt pas, lui. Chaque jour que j’ai vécu jusque là c’était ma grand-mère. Et chaque jour que je vivrai, ce sera toujours ma grand-mère. C’EST ma grand-mère. Je n’en aurai pas d’autre, c’EST toujours ma grand-mère paternelle. Au présent. Aujourd’hui.

Et c’est aujourd’hui que nous sommes réunis. C’est aujourd’hui que ça nous arrive à toutes et tous. CE jour. Unique. Ca lui est arrivé à elle pour la première fois. Et pour la dernière fois. Ca m’arrive aussi pour la première fois de perdre cette grand-mère. Et pour la dernière fois aussi. Ca n’arrivera plus.

Même si je ne suis pas croyant, pour moi c’est important ce qu’il se passe entre nous. Ce temps. Cette cérémonie. Ce rituel. Il y a toujours 3 temps dans un rituel. Avant (ce qui s’en va et qu’on doit laisser partir). Pendant (le rituel lui-même). Après (le cycle de la vie qui continue).


Hier dans le train, en venant, il y avait une petite fille qui quittait sa grand-mère sur le quai. Elle devait avoir 7 ans. Elle était triste. Elle exprimait sa tristesse. Elle pleurait. Fin des vacances. Elle perdait la présence de sa grand-mère. Pas définitivement, certes. Mais quand même, bien réellement. Et bien réellement, elle pleurait. Son corps pleurait, ses yeux pleuraient, son cœur, son ventre pleuraient. Evidemment, à peine les portes fermées, à peine assise, « il fallait que ça s’arrête quand même ». Alors que tout son être était en train de vivre une expérience vraie et forte, « il fallait cacher ça, l’arrêter ». Pas de force, non ! « Il fallait » juste la distraire, lui faire penser à autre chose. La distraire de ce qu’elle vivait. Alors on lui a mis un jeu très distrayant entre les mains. Alors elle a pensé à autre chose. Elle a porté son attention sur autre chose. Elle ne vivait plus ce qui lui arrivait dedans, avec toute son attention.


Que se passe t-il quand je conduis et que je suis distrait ? Je rate mon itinéraire. Ou plus grave, je rate le virage. Et bien je ne veux pas rater ce virage. Je veux dire que je ne veux pas rater d’être présent aujourd’hui. En présence. Ma conscience, mon inconscient, mon attention, mon corps, mon esprit, mes tripes. * Je veux prendre ce temps. Je veux être avec ce qu’il se passe. Ce qu’il se passe en moi, ma vie intérieure, ce qu’il se passe entre nous, la vie. Je veux m’autoriser ça, je ne veux pas me dispenser de ça, je ne veux pas être distrait, pour faire plus « propre ». Pas comme cette petite fille qui a « raté » sa tristesse. Je ne veux pas rester sur la rive. Je veux traverser ce fleuve, faire avec moi-même la traversée de cette émotion. Avec vous aussi.


Ca fait mal la tristesse. Ca me fait mal quand ma grand-mère meurt. Finalement. Définitivement. Ca me fait mal dedans. Mais je suis toujours vivant. Parce que je ne suis pas QUE cette tristesse. Je suis PLUS que cette tristesse. Je suis aussi dans le temps passé à penser à ma grand-mère, comme elle était. Le temps passé à écrire ce texte. Le temps de le dire à voix haute. Le temps passé avec chacun ici, dans ces moments particuliers où la vie prend une couleur plus dense. Le temps passé à se serrer les coudes, à se dire que l’on s’aime. Donc je suis triste mais aussi joyeux de tout ça. Joyeux de porter mon attention sur tout ça, de connaître tout ça. Ce qui est.

CE QUI EST.


Et puis je crois que c’est réconfortant pour les vivants. De vivre cette attention, ce partage autour de ceux qui s’en vont. De voir que tout le monde est là. Ca nous rassure. Parce que ça nous fiche une sacrée pétoche la mort ! On a bien besoin de voir que ça fait aussi de belles choses : des gens réunis, des émotions... Ca nous rassure un peu. Pour nous même. Pour plus tard. C’est que personne ne sait ce qu’il se passe... Après… Après ?


Je me rappelle que pour mon grand père, Henri, j’avais parlé ici, comme aujourd’hui. Il y a 12 ans. Je me rappelle que j’avais dit : « je ne sais pas, je cherche ». Et bien je cherche toujours. Ardemment. Et je me souhaite de chercher encore.

Et c’est grâce à ma grand-mère que je peux faire ça !
 
Alors je lui dis au revoir. Et surtout merci. Merci pour la vie. La vie reçue, donnée et transmise.


La vie. La mort. La vie. La mort. La vie… Les larmes. La vie.


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