Adultisme


Source : Colibris

L’Adultisme

Ce poison invisible qui intoxique les relations parents-enfants.
En tant que parents ou futurs parents, nous nous engageons à comprendre les besoins physiologiques et émotionnels de nos enfants. Nous cherchons des informations à propos de l’allaitement et de son incidence sur leur santé, nous choisissons au mieux leur alimentation et les jouets que nous leur proposons, nous tentons de leur offrir des expériences propices à leur bon épanouissement. En nous questionnant sur notre propre enfance nous imaginons quels parents nous pourrions être : différents des nôtres ou conformes à leur modèle ? Vous vous êtes peut-être interrogés, comme moi, sur la manière d’élever un garçon dans ce monde afin qu’il ne devienne pas sexiste. De même, comme nous sommes une famille métisse, j’ai aussi songé à la façon dont je pouvais l’aider à comprendre qui il est dans ce brassage multiculturel.
Nous pouvons aussi opter pour une démarche écologique et nous vivre un quotidien respectueux de l’environnement, pour le bien-être de nos enfants et des générations futures. Ceci est affaire de choix délibérés.
Pourtant, le plus souvent, les parents ne cherchent guère à comprendre l’impact de l’environnement social et culturel qui contribue à former un point de vue sur les enfants, sur l’enfance et sur le rôle des parents.
Le courant de pensée dominant sur l’éducation est basé sur le contrôle et la domination. Les écoles, les lieux culturels, religieux et même l’autorité parentale sont utilisés pour légitimer une négation des droits élémentaires des enfants à être traités avec respect et confiance.
Cette conception du rôle des parents et de la place des enfants dans notre culture a pour origine l’adultisme, une tare qui intoxique les relations parents-enfants.

Qu’est-ce que l’adultisme ?

Le professeur Barry Checkoway de l’Université de Ann Arbor dans le Michigan voit dans l’adultisme « Tous les comportements et les attitudes qui partent du postulat que les adultes sont meilleurs que les jeunes, et qu’ils sont autorisés à se comporter avec eux de n’importe quelle manière, sans leur demander leur avis. »
Pour lui, hormis les prisonniers et quelques autres groupes sous la coupe de diverses institutions, la vie des jeunes en société est sans doute la plus contrôlée. Parce qu’ils considèrent parfois que leur comportement est bénéfique, certains adultes se réservent le droit d’abuser de leur autorité sur les jeunes.
Lorsqu’un groupe d’adultes est traité de la sorte, on appelle cela de l’oppression. Si nous n’envisageons pas l’adultisme ainsi c’est parce que les générations précédentes ont été éduquées de cette façon et que nous avons intériorisé cette attitude.
Le fondement de l’adultisme repose sur une mésestime des jeunes et sur la confusion entre éducation et oppression.
Pour s’émanciper de cette situation sclérosée, les jeunes vont avoir besoin de la participation active des adultes. La prise de conscience de notre propre tendance à l’adultisme constitue une première étape pour évoluer.
Les médias portent leur part de responsabilité : Tout au long de notre vie, nous sommes bombardés d’informations sur l’histoire, les coutumes et les traditions, avec souvent un manque de recul favorisant la diffusion des discriminations, des stéréotypes et des préjugés sur certains groupes d’individus, parmi lesquels les enfants, dont le manque de maturité a trop souvent tendance à être considéré comme une déficience.
J’ai travaillé plus de vingt ans dans l’enseignement supérieur sur la question de l’égalité des chances dans la société. Il m’a pourtant fallu cinq ans, après être devenue parent, pour réaliser que l’oppression que je combattais à l’extérieur de chez moi était fermement établie dans ma propre maison, dans les relations que j’entretenais avec mon premier enfant. J’ai d’abord cru – parce que j’avais des valeurs et convictions peu courantes (comme privilégier la naissance naturelle, pratiquer l’allaitement prolongé, le co-dodo, et ne pas utiliser de châtiments corporels) – qu’user d’autorité sur mes enfants était acceptable dans la mesure où j’avais rejeté les valeurs éducatives dominantes. Et je me suis fourvoyée : j’ai réalisé que l’usage de mon pouvoir et de mon contrôle sur eux semait les graines de l’oppression et de la domination qui allaient se propager à travers eux une fois adulte.
Lorsque j’ai commencé à travailler à l’université pour aider les étudiants à comprendre comment le racisme, le sexisme, l’homophobie ou le rejet des handicapés fonctionnaient dans notre société, ils avaient déjà expérimenté 20 ans de domination et de contrôle et ils considéraient ce principe comme une norme. C’est à cette époque que j’ai fait le lien entre l’adultisme et les autres formes d’oppression.

Même si nous combattons le racisme, même si nous luttons pour un monde pacifiste, plus respectueux de l’environnement, si nous abusons de notre pouvoir sur nos enfants, alors nous perpétuons une forme d’oppression. Il serait nécessaire de rééquilibrer cette tutelle nécessaire en attribuant à l’enfant une plus grande part de libre-arbitre.
Un changement social de grande envergure passe par le rejet de l’adultisme et par une remise en cause de notre propre autorité, pas uniquement celle des grandes institutions parfois corrompues.

Chaque jour il est nécessaire d’interroger nos plus intimes convictions, de les soumettre au doute, de ne pas laisser s’établir le moindre abus. Cette évolution passe par une modification de notre comportement envers nos enfants afin de permettre à une nouvelle génération de voir le jour, une génération plus confiante.
Toute relation devrait être guidée par l’écoute, le respect et l’équilibre.

1. Barry Checkoway, Adults as Allies, W.J. Kellogg Foundation,
 
(July 5, 2010) 13.
Par Teresa Graham-Brett, traduction Béatrice Mera


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