Où sont les hommes ?

Après les femmes, place aux hommes dans les études de genre… mais quelle place et comment ?


« Où sont les hommes ? », c’est ce qu’on peut se demander à la lecture d’un article, vraiment intéressant, de Marion Rousset, paru dans Le Monde des idées ce weekend, et qui se penche sur un nouvel objet de recherche : l’homme. L’homme et non pas l’Homme (avec un grand H), avec sa condition humaine et sa nature humaine, non l’homme c’est-à-dire les hommes et non plus les femmes, sur lesquelles les études de genre se sont concentrées jusqu’ici…
Se pencher sur les hommes, comme s’il s’agissait d’une grande avancée, peut déconcerter… mais comme on s’en rend compte, ce qui constitue l’objet de cet article, ce sont les raisons de l’absence des hommes, non pas en général (!) mais en particulier, c’est-à-dire dans les études de genre jusqu’alors focalisées sur des enjeux féminins et féministes.
Pourquoi a-t-on identifié l’Homme en général et les hommes, et s’est-on ainsi passé de les étudier dans leur genre, dans leur masculinité, biologie, histoire et mythologie ? C’est la question soulevée ici et par plusieurs chercheurs : Olivia Gazalé, avec son Mythe de la virilité (Robert Laffont, 2017) ; Mélanie Gourarier, auteure d’Alpha mâle. Séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes (Seuil, 2017) ; Nadine Le Faucheur et La fabrication des mâles (paru en 1975, Seuil) ; ou encore, Thierry Hoquet, Eric Fassin, Josselin Tricou et Sylvie Ayral à qui l’on doit La fabrique des garçons (PUF, 2011)…, toutes et tous déclinent les raisons de cet oubli des hommes (universalité illusoire de l’Homme, appréhension à l’égard des études anglo-saxonnes déjà sur le coup, peur de remettre en question les hommes). Oubli paradoxal, il faut le dire, car il faut ajouter à ces raisons un certain mâle resté dominant…
Avec son livre La domination masculine, Pierre Bourdieu aurait longtemps empêché de telles études sur les hommes, le masculin et la virilité… C’est un des autres arguments invoqués ici pour expliquer cette identification de l’Homme en général aux hommes en particulier. Mais à côté de cette identification, il faudrait en pointer aussi une autre : pourquoi a-t-on également identifié études de genre et études sur les femmes ?
Il ressort en effet un autre paradoxe : le prolongement, au sein même de la recherche universitaire, censée être neutre, rationnelle, aveugle, d’une triple inégalité des sexes : inégalité politique, des rapports entre collègues, professeurs et élèves ; inégalité, comme c’est évoqué dans cet article, de la place accordée au féminin et au masculin comme objets dans le savoir ; mais aussi, inégalité du rôle que l’on fait jouer à chaque sexe dans le savoir et son modelage.  
Comment le savoir, ses acteurs et ses lieux, pourraient-ils redistribuer les cartes de ces sexes, et pas seulement les répartir et les rejouer de la même manière, avec d’un côté des hommes dominants qui ne s’interrogeraient pas et des femmes dominées à qui il reviendrait seules d’en sortir ?
En mars 2017, le JT de France 2 avait diffusé ce reportage qui avait fait beaucoup parler, et pas en bien… des hommes mal dans leurs peaux, à qui on empêche d’affirmer leur virilité… on peut comprendre pourquoi il y avait eu polémique. Mais la question était là : qu’est-ce qu’être un homme ? Et le problème aussi : comment poser la question sans reproduire les inégalités déjà présentes ? Peut-on la poser sans polémique ? Le faut-il ?
De la même manière que dans le droit, la loi ne fait pas que prendre acte des mœurs, mais peut les influencer, on peut aussi voir comment le savoir n’a pas seulement à prendre acte des inégalités, mais à les transformer. Reste alors cette question : comment renoncer définitivement à la neutralité du savoir pour enfin questionner ses partis pris et même prendre parti à travers lui ? Le faut-il vraiment ou faut-il tenter de dégager une neutralité du savoir ?


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