Sophie commence avec son couteau à rayer la table. Et grâce à ce geste qui ne m'a guère enchantée, voilà que j'assiste à une leçon de transmission.
Le père arrête avec douceur la petite main : "halte Sophie, à qui est cette table ?"
Alors la petite fille boudeuse :
"Je sais ! A Christiane !...
- Non, mais avant Christiane !... Elle est ancienne cette table, n'est ce pas ? D'autres ont déjeuné là...
- Oui, les parents, les grands-parents, les...
- ... Mais ce n'est pas tout !... Avant encore ? ... Elle a appartenu à l'ébéniste qui en avait acquis le bois. Mais d'où venait-il ce bois ?... Oui, d'un arbre qu'avait abattu le bûcheron... Mais l'arbre, à qui appartenait-il ?... A la forêt qui l'a protégé... Oui... et à la terre qui l'a nourri... à l'air, à la lumière, à l'univers entier... !
- ... Et puis Sophie, elle appartient à d'autres... la table... à ceux qui ne sont pas encore nés et qui viendront déjeuner après nous... ici même quand nous serons partis et quand nous serons morts."
Un cercle après l'autre se forme, comme après le jet d'une pierre dans un étang.
Et les yeux de Sophie aussi s'agrandissent, se dilatent.
L'hommage aux origines. Ainsi commence tout processus d'humanisation.
Christiane Singer
N'oublie pas les chevaux écumants du passé
LeLivredepoche, 2007, pp 16
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