Source : regardconscient.net
par Marc-André Cotton
Cet article est paru dans la revue Regard conscient No 10 (juin 2003)
Résumé : Intervenir lorsqu’un enfant est humilié ou violenté implique d’accepter d’accueillir nos propres souffrances. Témoignage.
En ouvrant peu à peu les yeux sur la profondeur de ma souffrance et sur les conséquences du mépris infligé à la conscience qu’incarne chaque enfant, je me suis vite senti interpellé par la question de savoir ce que je pouvais faire pour que cela change. La réalité que j’entrevoyais me paraissait insoutenable. Dans mon désarroi, j’aurais souhaité par exemple qu’on puisse imposer la lecture des livres d’Alice Miller à tous les parents. Inconsciemment, je voulais éviter d’être davantage confronté à mon histoire et à ce que j’avais moi-même reproduit sur mes enfants.
Projection de ma souffrance
Lorsque je voyais un adulte humilier ou frapper un enfant, j’étais saisi d’une révolte et paralysé en même temps à l’idée d’intervenir. Un jour dans un bus, alors que je venais de revivre en thérapie l’horreur d’une douche froide que ma mère m’avait infligée, j’entendis une jeune femme menacer tranquillement sa fillette de la même torture. J’avais envie de lui parler de mon vécu, mais restai pétrifié. J’étais incapable d’articuler un mot, de crainte qu’elle ne retourne sa colère contre moi. Sans m’en rendre compte, je projetais sur cette femme la terreur vécue face à ma mère et voulais la faire taire pour ne pas ressentir ma propre souffrance. Dans ces conditions, en supposant que j’aie pu surmonter ma stupeur, je l’aurais certainement condamnée. Elle se serait sentie menacée par une terreur similaire et aurait vraisemblablement rejeté mon intervention.
Au cours de mon travail thérapeutique, il m’a été difficile d’accepter que je puisse moi-même incarner le parent abusif qui utilise ses blessures pour justifier ses actes. Mais en réalisant cela et en continuant d’accueillir mon passé, des situations délicates de ce genre m’apparurent sous un jour nouveau. Je pouvais voir l’adulte emporté dans la répétition compulsive de sa souffrance, tout en le considérant comme pleinement responsable de s’ouvrir à son histoire personnelle au lieu de rejouer sur son enfant. Dans certains cas, il me fut possible d’intervenir tout en sachant que le parent se sentant pris en faute - donc coupable - allait m’opposer ses défenses et que celles-ci feraient écho à celles que mes parents m’avaient opposées : Vous n’avez pas de leçon à me donner ! Les enfants doivent apprendre à obéir ! Pensez-vous être plus malin que les autres ?
Témoin confirmant
Je réalisai aussi que je pouvais entrer en relation avec l’enfant, lui parler de sa situation et de ce que j’avais moi-même vécu de douloureux avec mes parents. Je le vis reconnaissant qu’un autre adulte intervienne et confirme sa souffrance. Récemment, une jeune élève de piano me provoqua en me donnant une petite tape sur les doigts. Je lui dis que je n’aimais pas ça parce que mes parents m’avaient aussi frappé à cet endroit et que je trouvais injuste que ses parents fassent de même avec elle. J’ajoutai que sa mère connaissait ma position sur les châtiments corporels puisque je lui avais passé un livre sur la fessée (1) et que nous en avions parlé. Sitôt le cours terminé, la fillette interpella sa mère en ma présence sur le sujet de la discipline familiale. D’abord sur la défensive, celle-ci commença par minimiser : Dis tout de suite qu’on te martyrise ! Tu n’as pas l’air si malheureuse ! Mais comme je restai à l’écoute, puis confirmai le vécu de l’enfant sur la base de ma propre histoire, la mère se détendit et aborda plus franchement la question devant sa fille. Oui, sa propre mère l’avait battue jusqu’à l’âge de treize ou quatorze ans et oui, il lui était encore trop souvent difficile de retenir sa main, si bien que ses enfants recevaient une raclée par trimestre environ. Si douloureuse que cette situation soit, la fillette rayonnait d’entendre son vécu confirmé en présence d’un autre adulte et serrait affectueusement sa mère par la taille.
En accueillant par la suite mes sentiments, je réalisai combien j’avais souffert que personne n’intervienne auprès de mes parents pour dire que la violence éducative qu’ils m’imposaient était une torture. Sans témoins conscient et confirmant, j’étais resté enfermé dans la solitude, persuadé que personne ne pouvait me comprendre. En choisissant de prendre cette place auprès de cette fillette, j’étais une fois de plus confronté à la profonde détresse que j’avais si longtemps refoulée.
par Marc-André Cotton
Cet article est paru dans la revue Regard conscient No 10 (juin 2003)
Résumé : Intervenir lorsqu’un enfant est humilié ou violenté implique d’accepter d’accueillir nos propres souffrances. Témoignage.
En ouvrant peu à peu les yeux sur la profondeur de ma souffrance et sur les conséquences du mépris infligé à la conscience qu’incarne chaque enfant, je me suis vite senti interpellé par la question de savoir ce que je pouvais faire pour que cela change. La réalité que j’entrevoyais me paraissait insoutenable. Dans mon désarroi, j’aurais souhaité par exemple qu’on puisse imposer la lecture des livres d’Alice Miller à tous les parents. Inconsciemment, je voulais éviter d’être davantage confronté à mon histoire et à ce que j’avais moi-même reproduit sur mes enfants.
Projection de ma souffrance
Lorsque je voyais un adulte humilier ou frapper un enfant, j’étais saisi d’une révolte et paralysé en même temps à l’idée d’intervenir. Un jour dans un bus, alors que je venais de revivre en thérapie l’horreur d’une douche froide que ma mère m’avait infligée, j’entendis une jeune femme menacer tranquillement sa fillette de la même torture. J’avais envie de lui parler de mon vécu, mais restai pétrifié. J’étais incapable d’articuler un mot, de crainte qu’elle ne retourne sa colère contre moi. Sans m’en rendre compte, je projetais sur cette femme la terreur vécue face à ma mère et voulais la faire taire pour ne pas ressentir ma propre souffrance. Dans ces conditions, en supposant que j’aie pu surmonter ma stupeur, je l’aurais certainement condamnée. Elle se serait sentie menacée par une terreur similaire et aurait vraisemblablement rejeté mon intervention.
Au cours de mon travail thérapeutique, il m’a été difficile d’accepter que je puisse moi-même incarner le parent abusif qui utilise ses blessures pour justifier ses actes. Mais en réalisant cela et en continuant d’accueillir mon passé, des situations délicates de ce genre m’apparurent sous un jour nouveau. Je pouvais voir l’adulte emporté dans la répétition compulsive de sa souffrance, tout en le considérant comme pleinement responsable de s’ouvrir à son histoire personnelle au lieu de rejouer sur son enfant. Dans certains cas, il me fut possible d’intervenir tout en sachant que le parent se sentant pris en faute - donc coupable - allait m’opposer ses défenses et que celles-ci feraient écho à celles que mes parents m’avaient opposées : Vous n’avez pas de leçon à me donner ! Les enfants doivent apprendre à obéir ! Pensez-vous être plus malin que les autres ?
Témoin confirmant
Je réalisai aussi que je pouvais entrer en relation avec l’enfant, lui parler de sa situation et de ce que j’avais moi-même vécu de douloureux avec mes parents. Je le vis reconnaissant qu’un autre adulte intervienne et confirme sa souffrance. Récemment, une jeune élève de piano me provoqua en me donnant une petite tape sur les doigts. Je lui dis que je n’aimais pas ça parce que mes parents m’avaient aussi frappé à cet endroit et que je trouvais injuste que ses parents fassent de même avec elle. J’ajoutai que sa mère connaissait ma position sur les châtiments corporels puisque je lui avais passé un livre sur la fessée (1) et que nous en avions parlé. Sitôt le cours terminé, la fillette interpella sa mère en ma présence sur le sujet de la discipline familiale. D’abord sur la défensive, celle-ci commença par minimiser : Dis tout de suite qu’on te martyrise ! Tu n’as pas l’air si malheureuse ! Mais comme je restai à l’écoute, puis confirmai le vécu de l’enfant sur la base de ma propre histoire, la mère se détendit et aborda plus franchement la question devant sa fille. Oui, sa propre mère l’avait battue jusqu’à l’âge de treize ou quatorze ans et oui, il lui était encore trop souvent difficile de retenir sa main, si bien que ses enfants recevaient une raclée par trimestre environ. Si douloureuse que cette situation soit, la fillette rayonnait d’entendre son vécu confirmé en présence d’un autre adulte et serrait affectueusement sa mère par la taille.
En accueillant par la suite mes sentiments, je réalisai combien j’avais souffert que personne n’intervienne auprès de mes parents pour dire que la violence éducative qu’ils m’imposaient était une torture. Sans témoins conscient et confirmant, j’étais resté enfermé dans la solitude, persuadé que personne ne pouvait me comprendre. En choisissant de prendre cette place auprès de cette fillette, j’étais une fois de plus confronté à la profonde détresse que j’avais si longtemps refoulée.
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