"Il faisait moins 3 degrés cette fin d'après-midi de dimanche. L'homme remontait la rue du Maréchal Foch menant à l’hôpital, bras ballants, mains orphelines. Le vent d'est glaçait son costume, un tissu croisé de défaite et de résignation. Je le voyais de dos. Les dos valent visages. Ce sont les livres comptables de l'âme. On y trouve pour chacun la hauteur de la ligne "débit". Pendant une seconde les invisibles frontières ont éclaté et il n'y eut plus aucune différence entre cet homme et moi : c'était moi-même que je voyais de dos, luttant en vain contre le vent, resserré sur l'enfantine détresse qui à chacun tient lieu d'âme. Je compris que rien n'était jamais impardonnable, et qu'il était insensé d'en vouloir à qui que ce soit dans cette vie où ne se trouvent que des enfants dont le coeur bleuit de froid à la tombée du jour. Je n'ai pas regardé en le dépassant le visage de l'homme. La Bible de son dos glacé m'avait déjà tout appris de lui, de moi et de tous. Il était poussé en avant par un courage qu'il ne connaissait pas. Nous ne sommes pas des saints, nous sommes seulement tout près de l'être. Un jour nous serons sauvés, c'est à dire soulevés un peu plus haut que le plus haut des cieux, jusque dans les bras du soleil."
Christian Bobin - Les ruines du ciel (Folio n°5204 - p165)
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