Il faut arrêter de briser les filles


Source : https://positivr.fr/il-faut-arreter-de-briser-les-filles-un-texte-poignant-et-criant-de-verite-sur-leducation-feminine


Dans un texte juste et poétique, Anie Pascale Robitaille pointe du doigt les dangers d’une éducation sexiste et de la culture du viol.

« Les petites filles ont peur. Le tonnerre a grondé, le fleuve a tremblé. L’orage est à côté. Elles regardent par-dessus leurs épaules. C’est important d’évaluer l’imminence du danger. Décider si on a encore le temps de courir.

Les petites filles apprennent très vite à regarder par-dessus leurs épaules. Et à s’enfuir. Si elles ont le temps.

Ça commence assez sournoisement. Comme si de rien n’était. Ça arrive à peu près au même moment. Même si parfois c’est avant, quand les deux pieds sont encore solidement ancrés dans l’enfance. Ça arrive donc, quand les seins se pointent, que le sexe s’habille, que la taille s’affine. Ça change beaucoup plus vite par en-dehors, que par en-dedans, les filles. À l’intérieur, elles sont encore souvent bien petites.

« Ça commence à être un beau bout de femme ça » dit l’oncle, le regard humide.
« Maudit que j’aimerais ça avoir 30 ans de moins ! » plaisante le voisin, l’œil un peu torve.
« Tu te rinces l’œil, hein mon cochon ! » rétorque sa femme, jalouse mais complice.

Personne n’en fait de cas. C’est « normal ». On parle aux filles de leur adorable robe, de leur joli visage, de leur belles petites fesses. Aux garçons, on jase de « stats », du dernier échange du Canadien, d’une niaiserie de cour d’école. Et non, ce n’est pas vrai que c’est un cliché. C’est encore comme ça.

Et ça recommence.

« Tu suces-tu? » demande un « grand » de Sec4 dans le parc, sa queue de paon déployée devant sa gang de chums qui trouvent ça ben comique.
« Y’as-tu vu la paire? » dit un client à son ami, pendant que la fille prépare son Hot-Dog relish-moutarde.

« Criss que je te ferais pas mal » murmure un inconnu dans un party. Alors que juste la phrase blesse.

Des fois, c’est un ami, un frère, un papa.

Souvent, la fille sourit. C’est jamais un vrai sourire. En vérité, elle montre ses dents comme un animal traqué. Parfois, elle se braque, elle réplique. Peu importe. Au fin fond des choses, c’est la même affaire. Elle voudrait juste être ailleurs. Elle a juste peur.

Après… après, ça continue.
Elle se fait siffler comme un chien sur un coin de rue.
On lui met la main sur la chatte alors qu’elle se penche pour ramasser son sac.
Elle se fait mordre la cuisse jusqu’à en avoir un bleu.
Quelqu’un « graine » son verre quand elle tourne le dos.
On s’y prend à 2, à 3, à 4, pour lui faire la passe.

On la menace de tout faire sauter – son visage en premier – si elle ose parler.

C’est comme un roseau une fille, ça fléchit, ça s’incline, ça supporte, ça endure, et souvent ça capitule… parce que le vent est trop fort, qu’elle a peur de s’envoler, de disparaitre, de souffrir, de payer pour. Si elle ose s’insurger, se revirer de bord et crier haut et fort, combattre le vent avec des mots qu’elle doit répéter ad nauséam, pour qu’on vérifie, contre-vérifie, souvent on ne l’entend pas. On ne l’écoute pas. Pire. On ne la croit pas.

C’est fort en criss le vent qui souffle. D’autant qu’il est rarement seul. Partout autour, des connaissances, des amis, de la famille, qui savent, mais qui se taisent.

C’est comme un roseau une fille, ça fléchit, ça s’incline, ça supporte, ça endure, et un jour ça casse.
Souvent par en-dedans.

Personne ne le sait, mais elle est brisée.

Il faut arrêter de briser les filles. »

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