Source : https://lareleveetlapeste.fr/pour-des-lendemains-qui-fleurissent/
Cette nuit j’ai encore eu une insomnie. Je pensais pourtant m’endormir facilement, il était plus tard que d’habitude, j’avais eu une grosse journée. Encore raté. Encore ces pensées qui viennent tourbillonner dans ma tête, me font me rouler en boule, serrer les dents et pleurer de rage et de désespoir.
Hier, j’ai appris par un ami que, derrière chez lui, les champs avaient été vendus et qu’on allait construire dessus. Les travaux commenceront en 2021 — autant dire demain. Le sol, fertile et vivant, l’humus a été vendu. Pour du béton. Encore. Encore cette destruction insensée et effrénée.
Mais non enfin, le béton, c’est pour créer ! Des immeubles, des commerces, c’est pour vivre tout ça ! Vivre ? Vivre ?? Comment vit-on dans un désert ? Des oasis. Certes. Mais il y en a de moins en moins, toutes englouties par l’appétit vorace de ceux qui ont le fric et en veulent plus encore.
À quoi nous serviront nos commerces quand ils n’auront plus de denrées à nous vendre, à quoi nous serviront nos toits quand dessous on mourra de faim ?
Ce n’est pas comme ça qu’il faut s’y prendre pour convaincre. Faire peur aux gens, leur balancer des images négatives, ça ne leur donne pas envie de s’investir. Il faut leur vendre du rêve. Mais comment vendre du rêve quand on n’y croit plus, quand on est à bout ?
À vous les politiciens et les lobbys, les actionnaires des grands groupes, à vous les gens lambda qui pensez que l’écologie c’est trier ses déchets : quels étaient vos rêves de jeunesse, vos rêves actuels ? À quoi pens(i)ez- vous le soir en vous endormant ? Devenir peintre ? Fleuriste ?
Faire vos courses dans un supermarché bondé le samedi matin ? Rester coincé 1h par jour dans les embouteillages dans une voiture que vous n’avez pas fini de rembourser ?
Si vous vous êtes posé la question en lisant les quelques lignes qui précèdent, j’ai 24 ans. La fleur de l’âge comme on dit.
Vous voulez savoir à quoi je rêve quand je vais me coucher ?
Je rêve qu’à 30 ans, j’aie le droit moral d’avoir des enfants, que ce ne sera pas le pire cadeau qu’on puisse faire à des êtres que de les mettre au monde sur une planète de plus en plus invivable ;
je rêve qu’à 40 ans j’aie encore le droit de faire l’amour avec mon copain sans risquer une grossesse, parce que le pétrole sera réservé aux voitures de quelques riches plutôt qu’à la contraception ;
je rêve qu’à 50 ans je ne mourrai pas au cours d’une rixe idiote pour un peu de la rare nourriture restante qu’on aurait pu partager ;
je rêve de ne pas mourir à 60 ans, déshydratée par le manque d’eau, les sécheresses qu’on connaît déjà et qui vont en s’intensifiant.
J’en viens parfois à me demander si le suicide n’est pas la solution la plus douce à ce que l’humanité s’apprête à vivre. Mais le suicide, bien qu’il demande un certain courage, est aussi une lâcheté, une façon d’abandonner le combat, de laisser les autres se débrouiller tout seuls, de s’en laver les mains.
Quand on est mort il n’y a plus d’espoir, plus d’avancée, plus de changement plus rien — et je refuse ce rien, je veux déjeuner au soleil, faire des bonhommes de neige et écouter les oiseaux chanter. Me battre pour un avenir meilleur, un avenir tout court, pour moi, les autres, les suivants.
« Elle exagère, encore une anxio-climatique ». Je vous vois venir. Pourtant je ne suis pas la seule à penser ça. Ok, l’argument du nombre n’est pas recevable, une foule peut se tromper et un individu avoir raison. Mais les scientifiques ? Mais les rapports météorologiques, les reportages du bout du monde qui rapportent l’intensification des désastres climatiques, la disparition des espèces, les canicules comme on n’en a plus vues depuis si longtemps, la désertification de la Terre ? Tous ceux-là, tout cela, est-ce que c’est encore une pauvre petite personne qui angoisse un peu vite ?
Vous voulez savoir les rêves un petit plus positifs que je m’autorise, parfois ? Je me vois avec mon compagnon dans la yourte qu’on aura construite de nos mains, en bois, en terre et en paille. Je me vois travailler 4h le matin à mon « métier » dirons-nous pour faciliter la description, ma source de revenus — pas énormes, pourquoi aurais-je besoin de plus ?
Je serai autonome en nourriture, un maximum en eau et en électricité, nous n’avons pas besoin de tant que ça à vrai dire. Ce travail du matin, je le veux parce que je l’aime, parce que c’est un plaisir de l’effectuer, pas parce que j’ai besoin d’argent.
L’après-midi serait consacré à des projets plus personnels (moins rémunérateurs en fait), aider sur les parcelles, lire, préparer la pâte à tartiner pure noisette (TROP bon), bricoler un meuble qui nous sera utile parce que quand même, la fierté d’avoir su réaliser soi- même, d’avoir appris de nouvelles choses, c’est génial. Préparer une salade de fruits du jardin à partager au soir avec des amis.
J’imagine des enfants aux visages pleins de terre (les dignes gamins de leur père!) rentrer en courant pour me raconter tout ce qu’ils auraient appris à l’« école », empressés de m’expliquer d’un air important ce qu’évidemment moi-même je sais depuis le même âge qu’eux, ravis de dire qu’aujourd’hui ils ont construit un banc de traite pour les chèvres et qu’ils ont tous eu un verre de lait fraichement tiré en récompense (d’ailleurs je vois sur la bouille du plus jeune une tâche de lait séché, à bien y regarder!).
Puis ils repartiraient à toute allure rejoindre leur père encore assis parmi les planches de carottes à désherber, pour passer une petite heure ensemble à l’aider, parce que quand même c’est chouette de s’asseoir par terre au soleil avec Papa et le chien et d’écouter Papa nous répéter le nom des plantes, lesquelles sont comestibles, utiles, toxiques, etc.
Mieux que mes terreurs de survivalisme, non ? Et pourtant je désespère de plus en plus de voir cet avenir-ci se réaliser. Je pensais que la crise du COVID nous aurait appris des choses ; « l’après-COVID » comme on l’appelait, est finalement tristement similaire à l’avant.
Les dirigeants, peu importe leur niveau, en ont profité pour faire passer des projets controversés en douce, que ce soit la 5G ou toujours plus de constructions ; les gens qui s’étaient tournés, tout sourire, vers les petits producteurs locaux au moment où Delhaize et Carrefour affichaient des stocks vides se sont maintenant empressés de leur tourner le dos.
Dans le piétonnier commerçant de ma ville, à peine le confinement levé (avant de me faire taxer d’hypocrite qui accuse les autres mais fait pareil, je précise que je cherchais une carafe pour mettre l’eau du robinet à déchlorer pour pouvoir la boire sans m’empoisonner, si vous ne connaissez pas encore les perles de céramique je vous les conseille, c’est géant !), les gens faisaient la file devant le Primark. Cette enseigne dégueulasse, connue pour ses prix riquiquis et l’indécence de ses vêtements.
Et pas que des vieux hein, des « personnes âgées » pour le dire politiquement correctement qui de toute façon ne seront plus là pour vivre le désastre ; non, des jeunes, ces jeunes cool et branchés qui se félicitent de dénicher le millième short à 3€ qui moulera leurs fesses cet été qu’ils passeront à se plaindre de la canicule, en sirotant leur Coca dans une bouteille en plastique — mais avec une paille en bambou importé, olé !
Je caricature ? À peine, malheureusement. Les gens qui font attention, vraiment attention, je m’en rends compte, ne sont pas majoritaires. L’idée que je me fais d’une conscience collective qui s’éveille n’est en fait que le résultat de ma bulle, ce que Facebook me montre parce que ses algorithmes savent que c’est ce que je cherche, ce que mes amis me disent parce qu’eux et moi on a les mêmes valeurs. Mais c’est très loin d’être la majorité.
Je l’ai bien compris, dans le monde il y a trois groupes : ceux qui se battent pour faire bouger les choses, minoritaires, ceux qui se laissent porter par le courant, qui ne feront pas l’effort tant qu’ils ont le choix, majoritaires, et puis ceux, une fraction de minorité, qui dirigent le monde.
Les lobbys, les manias du pétrole, les fous de la Silicon Valley. Ceux à qui nos hommes et femmes politiques sont liés, parce qu’ils ont accepté leur argent pour faire la promotion de leur carrière.
On en revient à l’argent. J’en viens parfois à me demander s’il ne faudrait pas organiser un grand attentat, faire sauter cette poignée de gens qui amènent l’humanité dans le gouffre pour leurs lubies personnelles. Engager des tireurs d’élite pour les éliminer un par un. Les kidnapper et les relâcher dans une plantation d’huile de palme ou de soja, dans une usine à brûler les déchets, et voir combien de temps ils survivraient avec les seules ressources qu’ils trouveront sur place.
Mais évidemment la violence ne résoudra rien, ce ne sont là que des chimères.
La seule chose que ces gens comprennent, c’est le pouvoir de l’argent ; ils n’ont pas compris que la vie n’est pas un Monopoly géant (vous avez vu des cases comme « amusez- vous », « vivez des moments en famille », « distribuez du bonheur », vous, parmi les cases du Monopoly ? Moi pas, seulement « payez », « recevez de l’argent », « allez en prison ». Si vous n’avez pas vu l’excellente vidéo « Jeux de société » des Parasites, je vous la recommande, elle dure 20 minutes et est GÉ-NIALE.
Comment faire pour leur faire entendre raison ? C’est là le plus beau : le pouvoir, c’est nous qui l’avons. Ou plutôt, eux tant qu’on leur accorde. Quid si plus personne n’achète de Coca parce que les bouteilles sont en plastique ? Eh bien oui, Coca refera des bouteilles en verre, trop désireux de récupérer son chiffre d’affaires.
L’idée n’est pas de moi, Coline Serreau l’énonçait déjà : il suffit de boycotter pour faire plier. Et le boycott de nos jours c’est facile!, grâce à des plateformes comme I-boycott !
Oui mais… ces gens qui vont chez Primark, ils ne veulent pas boycotter. Que faire alors ? Faut-il une dictature verte ? Laissons-là le mot « dictature » un instant, et pensons aux feux de signalisation et aux limites de vitesse sur la route (la comparaison n’est pas de moi, mais d’Aurélien Barrau, je ne sais plus dans quelle vidéo j’ai entendu ça).
Personne n’aime être coincé à un feu rouge, pas vrai ? Ni être forcé de stagner à 120 quand 130 c’est si peu au-dessus, je me trompe ? Et pourtant on respecte (quasi) tous (toutes) ces règles. Pourquoi ? Parce qu’elles sont nécessaire à la survie de chacun, la nôtre, celle des autres.
Maintenant revenons à cette idée de « dictature » verte : en quoi cela est-il différent du code de la route ? Ici aussi ce seraient quelques règles et contraintes permettant la survie de tous !
Après tout, la société telle que nous la connaissons, le tout-jetable, les soldes, la consommation et le gaspillage, tout ça n’est qu’un paradigme. Mais il n’est pas universel (même si de plus en plus…), et il n’est pas inéluctable non plus : on peut créer autre chose.
Vous avez vu Matrix ? Les combats sont un peu tirés par les cheveux à mon goût, mais le principe est génial : dans un monde futuriste dirigé par des machines, les hommes sont élevés comme du bétail pour produire de l’énergie, vitale aux machines. Pour éviter qu’ils ne se rebellent (évidemment, personne n’a envie d’un job pareil !), tous sont plongés dans un sommeil artificiel, et vivent leur vie dans une réalité virtuelle (la Matrice) sans savoir qu’il ne s’agit que de « rêves ».
Sauf quelques- uns, qui ont perçu un malaise, qui ont cherché, et se sont réveillés grâce à une petite pilule rouge. Bienvenue dans le monde réel, et bienvenu en Enfer ! Je m’arrête là dans mon synopsis du film, je ne voudrais pas vous dévoiler la fin, ça perdrait sa saveur au visionnage — et je vous conseille d’aller le visionner !
Eh bien, le paradigme actuel, c’est exactement ça : on est plongés dedans, on a l’impression que c’est la vie réelle, la seule possible. Mais on se trompe.
Il existe une vraie vie, une autre vie, en harmonie avec la nature, qui ne serait pas dirigée par quelques-uns (les machines, les lobbys, même combat) exploitant tous les autres.
Dans le 3e manifeste publié par La Relève et la Peste (petit conseil lecture cette fois !), Hélène De Vestele comparait elle précisément la pilule rouge au zéro déchet, mode de vie/philosophie finalement simple à mettre en place et qui nous ouvre la porte de toute une nouvelle façon d’arpenter cette Terre et de cohabiter avec les autres êtres.
Bon bon. Et qui va décider de ces règles ? Pas les politiciens, ils préfèrent ne pas prendre de risque, ils veulent se faire réélire (mais sérieux, ça marche encore ce truc ??) ; pas les lobbys, ils veulent continuer à croire en la valeur de l’argent, que leurs efforts d’une vie ne s’anéantissent pas, vides de sens.
D’ailleurs, vous avez déjà jeté un œil à toutes les marques que possèdent les 4 plus grands groupes mondiaux en agroalimentaire, à savoir Nestlé, Pepsico, Coca-Cola et Unilever ? À peu près tout ce qu’on mange et boit. Tout ça aux mains de 4 PDG et quelques actionnaires. Vous imaginez la richesse de ces gens, l’excès de luxe qu’ils peuvent s’offrir ? Quand certains chez nous meurent de faim, de froid ?
Qui, donc, proposerait des réformes écologiques et éthiques ? … Moi ? Vous ? Nous, ensemble ? Et pourquoi pas ? Vous n’y connaissez rien en politique ? Moi non plus ! Et ça ne nous rend pas plus bêtes ou moins créatifs que d’autres.
La Convention Citoyenne pour le Climat, vous en avez entendu parler ? Un groupe de 150 citoyens français tirés au sort pour proposer des (149) réformes à la France. À quand cela en Belgique ? S’il faut un appel à l’État belge pour qu’il instaure cela chez nous, voici, Messieurs Dames du (non)gouvernement, nous vous demandons l’établissement immédiat d’une Convention Citoyenne pour le Climat !
Revenons-en à cette construction dans les champs, pas très loin. Il paraît que les bourgmestres se voient allouer leur budget (ou leur salaire, en tout cas de l’argent) selon le nombre d’habitants de leur commune — pas étonnant qu’ils fassent la course aux riverains, et la guerre à la nature.
Et pourtant il existe une solution fantastique qui permet d’allier les deux : les habitats alternatifs. Les tiny houses, les yourtes, les bennes de tracteurs réhabilitées. Presque toujours démontables et déplaçables, presque toujours habités par des gens qui utilisent peu d’énergie et font très attention à la Nature.
Est-ce que ce ne serait pas la solution parfaite, que de transformer ces champs en terre d’accueil pour ces habitats légers, des potagers pour nourrir les habitants, des herbes hautes pour nourrir les pollinisateurs, plus d’habitants et plus d’humus en même temps ?
J’ai écrit, j’ai écrit, déjà plus de 5 pages A4 couvertes (si vous avez lu jusqu’ici, merci!). Il est temps de conclure cette lettre. De nos jours les bouteilles à la mer sont dépassées, il est beaucoup plus actuel de jeter quelques mots sur internet — mais les résultats sont-ils plus probants ? Je l’espère…
Le monde n’a pas besoin d’une énième figure de proue, le monde a besoin que chacun d’entre nous devienne acteur du changement. Hier soir en essayant de m’endormir, ce matin encore, j’ai pleuré. Parce que j’ai peur. Je crève littéralement de trouille de ce que l’avenir réserve à l’humanité, me réserve. Mais pleurer ne me fera pas avancer.
Je ne signe pas cette lettre, par peur d’attaques ad personam que je ne suis pas prête à affronter oui (sur le net ça prend vite des dimensions ahurissantes), mais aussi parce qu’il n’est pas nécessaire d’attribuer ces paroles à une seule voix et à un seul visage ; je suis sûre de ne pas être la seule à avoir eu ces mots tourbillonnants dans ma tête.
Si d’autres les trouvent adéquats pour exprimer ce qu’ils ressentent et souhaitent les reprendre, les clamer avec moi, les partager, les voici.
Seuls on peut faire des petits gestes. Ensemble on peut changer le monde — faire éclore cette Révolution que j’appelle Révolution Tournesol, du nom de cette fleur qui, plutôt que de subir des conditions qui ne lui conviennent pas, se tourne vers le soleil pour maximiser ses capacités photosynthétiques.
Comme le dit David Koubbi dans le tome 3 des livres de la Relève et la Peste (L’éveil), les élus sont nos employés : ils sont payés par l’argent public pour faire ce qu’ils ont promis au public. Il est donc légitime que nous ayons le droit — et le devoir — de les rappeler à l’ordre lorsqu’ils ne servent que quelques intérêts (dont le leur propre), et non pas le nôtre, celui du peuple.
En passant par la désobéissance civile si nécessaire, jusqu’à ce que les choses soient remises à leur juste place. Boycottons les grands groupes, le plastique, les additifs, nos politiques qui vivent dans leur bulle déconnectée de la réalité. Entraidons-nous, échangeons. Cessons la passivité, agissons.
Agissons pour, dans 10 ans, 20 ans, 30 ans, pouvoir se souvenir et être fiers, fiers de notre courage à changer les choses. Ceux qui veulent continuer à s’acheter 10 shorts, très bien, tant que ces shorts sont produits de façon durable et éthique — avec le prix et la qualité adéquats.
À ceux qui ne respectent rien et mettent en danger la survie de l’humanité, la survie des générations suivantes et de tous les êtres vivants, mettons le hola, mettons des limites. Achetons en vrac, plantons nos potagers, reprenons le pouvoir dans nos villes et nos vies.
On peut le faire : des milliers de gens vivent avec moins de confort que nos plus riches Occidentaux, que nos Occidentaux moyens, et ils le vivent très bien, voire sont plus heureux. Nous avons des exemples qui nous tendent les bras, nous disent que c’est possible.
Faisons-le ; revenons à l’essentiel, pour que chacun puisse un jour avoir des petits- enfants à qui raconter qu’il a participé, à son échelle, au changement du monde qui a permis d’en refaire une Terre habitable. Soyons des tournesols.
Cette nuit j’ai encore eu une insomnie. Je pensais pourtant m’endormir facilement, il était plus tard que d’habitude, j’avais eu une grosse journée. Encore raté. Encore ces pensées qui viennent tourbillonner dans ma tête, me font me rouler en boule, serrer les dents et pleurer de rage et de désespoir.
Hier, j’ai appris par un ami que, derrière chez lui, les champs avaient été vendus et qu’on allait construire dessus. Les travaux commenceront en 2021 — autant dire demain. Le sol, fertile et vivant, l’humus a été vendu. Pour du béton. Encore. Encore cette destruction insensée et effrénée.
Mais non enfin, le béton, c’est pour créer ! Des immeubles, des commerces, c’est pour vivre tout ça ! Vivre ? Vivre ?? Comment vit-on dans un désert ? Des oasis. Certes. Mais il y en a de moins en moins, toutes englouties par l’appétit vorace de ceux qui ont le fric et en veulent plus encore.
À quoi nous serviront nos commerces quand ils n’auront plus de denrées à nous vendre, à quoi nous serviront nos toits quand dessous on mourra de faim ?
Ce n’est pas comme ça qu’il faut s’y prendre pour convaincre. Faire peur aux gens, leur balancer des images négatives, ça ne leur donne pas envie de s’investir. Il faut leur vendre du rêve. Mais comment vendre du rêve quand on n’y croit plus, quand on est à bout ?
À vous les politiciens et les lobbys, les actionnaires des grands groupes, à vous les gens lambda qui pensez que l’écologie c’est trier ses déchets : quels étaient vos rêves de jeunesse, vos rêves actuels ? À quoi pens(i)ez- vous le soir en vous endormant ? Devenir peintre ? Fleuriste ?
Faire vos courses dans un supermarché bondé le samedi matin ? Rester coincé 1h par jour dans les embouteillages dans une voiture que vous n’avez pas fini de rembourser ?
Si vous vous êtes posé la question en lisant les quelques lignes qui précèdent, j’ai 24 ans. La fleur de l’âge comme on dit.
Vous voulez savoir à quoi je rêve quand je vais me coucher ?
Je rêve qu’à 30 ans, j’aie le droit moral d’avoir des enfants, que ce ne sera pas le pire cadeau qu’on puisse faire à des êtres que de les mettre au monde sur une planète de plus en plus invivable ;
je rêve qu’à 40 ans j’aie encore le droit de faire l’amour avec mon copain sans risquer une grossesse, parce que le pétrole sera réservé aux voitures de quelques riches plutôt qu’à la contraception ;
je rêve qu’à 50 ans je ne mourrai pas au cours d’une rixe idiote pour un peu de la rare nourriture restante qu’on aurait pu partager ;
je rêve de ne pas mourir à 60 ans, déshydratée par le manque d’eau, les sécheresses qu’on connaît déjà et qui vont en s’intensifiant.
J’en viens parfois à me demander si le suicide n’est pas la solution la plus douce à ce que l’humanité s’apprête à vivre. Mais le suicide, bien qu’il demande un certain courage, est aussi une lâcheté, une façon d’abandonner le combat, de laisser les autres se débrouiller tout seuls, de s’en laver les mains.
Quand on est mort il n’y a plus d’espoir, plus d’avancée, plus de changement plus rien — et je refuse ce rien, je veux déjeuner au soleil, faire des bonhommes de neige et écouter les oiseaux chanter. Me battre pour un avenir meilleur, un avenir tout court, pour moi, les autres, les suivants.
« Elle exagère, encore une anxio-climatique ». Je vous vois venir. Pourtant je ne suis pas la seule à penser ça. Ok, l’argument du nombre n’est pas recevable, une foule peut se tromper et un individu avoir raison. Mais les scientifiques ? Mais les rapports météorologiques, les reportages du bout du monde qui rapportent l’intensification des désastres climatiques, la disparition des espèces, les canicules comme on n’en a plus vues depuis si longtemps, la désertification de la Terre ? Tous ceux-là, tout cela, est-ce que c’est encore une pauvre petite personne qui angoisse un peu vite ?
Vous voulez savoir les rêves un petit plus positifs que je m’autorise, parfois ? Je me vois avec mon compagnon dans la yourte qu’on aura construite de nos mains, en bois, en terre et en paille. Je me vois travailler 4h le matin à mon « métier » dirons-nous pour faciliter la description, ma source de revenus — pas énormes, pourquoi aurais-je besoin de plus ?
Je serai autonome en nourriture, un maximum en eau et en électricité, nous n’avons pas besoin de tant que ça à vrai dire. Ce travail du matin, je le veux parce que je l’aime, parce que c’est un plaisir de l’effectuer, pas parce que j’ai besoin d’argent.
L’après-midi serait consacré à des projets plus personnels (moins rémunérateurs en fait), aider sur les parcelles, lire, préparer la pâte à tartiner pure noisette (TROP bon), bricoler un meuble qui nous sera utile parce que quand même, la fierté d’avoir su réaliser soi- même, d’avoir appris de nouvelles choses, c’est génial. Préparer une salade de fruits du jardin à partager au soir avec des amis.
J’imagine des enfants aux visages pleins de terre (les dignes gamins de leur père!) rentrer en courant pour me raconter tout ce qu’ils auraient appris à l’« école », empressés de m’expliquer d’un air important ce qu’évidemment moi-même je sais depuis le même âge qu’eux, ravis de dire qu’aujourd’hui ils ont construit un banc de traite pour les chèvres et qu’ils ont tous eu un verre de lait fraichement tiré en récompense (d’ailleurs je vois sur la bouille du plus jeune une tâche de lait séché, à bien y regarder!).
Puis ils repartiraient à toute allure rejoindre leur père encore assis parmi les planches de carottes à désherber, pour passer une petite heure ensemble à l’aider, parce que quand même c’est chouette de s’asseoir par terre au soleil avec Papa et le chien et d’écouter Papa nous répéter le nom des plantes, lesquelles sont comestibles, utiles, toxiques, etc.
Mieux que mes terreurs de survivalisme, non ? Et pourtant je désespère de plus en plus de voir cet avenir-ci se réaliser. Je pensais que la crise du COVID nous aurait appris des choses ; « l’après-COVID » comme on l’appelait, est finalement tristement similaire à l’avant.
Les dirigeants, peu importe leur niveau, en ont profité pour faire passer des projets controversés en douce, que ce soit la 5G ou toujours plus de constructions ; les gens qui s’étaient tournés, tout sourire, vers les petits producteurs locaux au moment où Delhaize et Carrefour affichaient des stocks vides se sont maintenant empressés de leur tourner le dos.
Dans le piétonnier commerçant de ma ville, à peine le confinement levé (avant de me faire taxer d’hypocrite qui accuse les autres mais fait pareil, je précise que je cherchais une carafe pour mettre l’eau du robinet à déchlorer pour pouvoir la boire sans m’empoisonner, si vous ne connaissez pas encore les perles de céramique je vous les conseille, c’est géant !), les gens faisaient la file devant le Primark. Cette enseigne dégueulasse, connue pour ses prix riquiquis et l’indécence de ses vêtements.
Et pas que des vieux hein, des « personnes âgées » pour le dire politiquement correctement qui de toute façon ne seront plus là pour vivre le désastre ; non, des jeunes, ces jeunes cool et branchés qui se félicitent de dénicher le millième short à 3€ qui moulera leurs fesses cet été qu’ils passeront à se plaindre de la canicule, en sirotant leur Coca dans une bouteille en plastique — mais avec une paille en bambou importé, olé !
Je caricature ? À peine, malheureusement. Les gens qui font attention, vraiment attention, je m’en rends compte, ne sont pas majoritaires. L’idée que je me fais d’une conscience collective qui s’éveille n’est en fait que le résultat de ma bulle, ce que Facebook me montre parce que ses algorithmes savent que c’est ce que je cherche, ce que mes amis me disent parce qu’eux et moi on a les mêmes valeurs. Mais c’est très loin d’être la majorité.
Je l’ai bien compris, dans le monde il y a trois groupes : ceux qui se battent pour faire bouger les choses, minoritaires, ceux qui se laissent porter par le courant, qui ne feront pas l’effort tant qu’ils ont le choix, majoritaires, et puis ceux, une fraction de minorité, qui dirigent le monde.
Les lobbys, les manias du pétrole, les fous de la Silicon Valley. Ceux à qui nos hommes et femmes politiques sont liés, parce qu’ils ont accepté leur argent pour faire la promotion de leur carrière.
On en revient à l’argent. J’en viens parfois à me demander s’il ne faudrait pas organiser un grand attentat, faire sauter cette poignée de gens qui amènent l’humanité dans le gouffre pour leurs lubies personnelles. Engager des tireurs d’élite pour les éliminer un par un. Les kidnapper et les relâcher dans une plantation d’huile de palme ou de soja, dans une usine à brûler les déchets, et voir combien de temps ils survivraient avec les seules ressources qu’ils trouveront sur place.
Mais évidemment la violence ne résoudra rien, ce ne sont là que des chimères.
La seule chose que ces gens comprennent, c’est le pouvoir de l’argent ; ils n’ont pas compris que la vie n’est pas un Monopoly géant (vous avez vu des cases comme « amusez- vous », « vivez des moments en famille », « distribuez du bonheur », vous, parmi les cases du Monopoly ? Moi pas, seulement « payez », « recevez de l’argent », « allez en prison ». Si vous n’avez pas vu l’excellente vidéo « Jeux de société » des Parasites, je vous la recommande, elle dure 20 minutes et est GÉ-NIALE.
Comment faire pour leur faire entendre raison ? C’est là le plus beau : le pouvoir, c’est nous qui l’avons. Ou plutôt, eux tant qu’on leur accorde. Quid si plus personne n’achète de Coca parce que les bouteilles sont en plastique ? Eh bien oui, Coca refera des bouteilles en verre, trop désireux de récupérer son chiffre d’affaires.
L’idée n’est pas de moi, Coline Serreau l’énonçait déjà : il suffit de boycotter pour faire plier. Et le boycott de nos jours c’est facile!, grâce à des plateformes comme I-boycott !
Oui mais… ces gens qui vont chez Primark, ils ne veulent pas boycotter. Que faire alors ? Faut-il une dictature verte ? Laissons-là le mot « dictature » un instant, et pensons aux feux de signalisation et aux limites de vitesse sur la route (la comparaison n’est pas de moi, mais d’Aurélien Barrau, je ne sais plus dans quelle vidéo j’ai entendu ça).
Personne n’aime être coincé à un feu rouge, pas vrai ? Ni être forcé de stagner à 120 quand 130 c’est si peu au-dessus, je me trompe ? Et pourtant on respecte (quasi) tous (toutes) ces règles. Pourquoi ? Parce qu’elles sont nécessaire à la survie de chacun, la nôtre, celle des autres.
Maintenant revenons à cette idée de « dictature » verte : en quoi cela est-il différent du code de la route ? Ici aussi ce seraient quelques règles et contraintes permettant la survie de tous !
Après tout, la société telle que nous la connaissons, le tout-jetable, les soldes, la consommation et le gaspillage, tout ça n’est qu’un paradigme. Mais il n’est pas universel (même si de plus en plus…), et il n’est pas inéluctable non plus : on peut créer autre chose.
Vous avez vu Matrix ? Les combats sont un peu tirés par les cheveux à mon goût, mais le principe est génial : dans un monde futuriste dirigé par des machines, les hommes sont élevés comme du bétail pour produire de l’énergie, vitale aux machines. Pour éviter qu’ils ne se rebellent (évidemment, personne n’a envie d’un job pareil !), tous sont plongés dans un sommeil artificiel, et vivent leur vie dans une réalité virtuelle (la Matrice) sans savoir qu’il ne s’agit que de « rêves ».
Sauf quelques- uns, qui ont perçu un malaise, qui ont cherché, et se sont réveillés grâce à une petite pilule rouge. Bienvenue dans le monde réel, et bienvenu en Enfer ! Je m’arrête là dans mon synopsis du film, je ne voudrais pas vous dévoiler la fin, ça perdrait sa saveur au visionnage — et je vous conseille d’aller le visionner !
Eh bien, le paradigme actuel, c’est exactement ça : on est plongés dedans, on a l’impression que c’est la vie réelle, la seule possible. Mais on se trompe.
Il existe une vraie vie, une autre vie, en harmonie avec la nature, qui ne serait pas dirigée par quelques-uns (les machines, les lobbys, même combat) exploitant tous les autres.
Dans le 3e manifeste publié par La Relève et la Peste (petit conseil lecture cette fois !), Hélène De Vestele comparait elle précisément la pilule rouge au zéro déchet, mode de vie/philosophie finalement simple à mettre en place et qui nous ouvre la porte de toute une nouvelle façon d’arpenter cette Terre et de cohabiter avec les autres êtres.
Bon bon. Et qui va décider de ces règles ? Pas les politiciens, ils préfèrent ne pas prendre de risque, ils veulent se faire réélire (mais sérieux, ça marche encore ce truc ??) ; pas les lobbys, ils veulent continuer à croire en la valeur de l’argent, que leurs efforts d’une vie ne s’anéantissent pas, vides de sens.
D’ailleurs, vous avez déjà jeté un œil à toutes les marques que possèdent les 4 plus grands groupes mondiaux en agroalimentaire, à savoir Nestlé, Pepsico, Coca-Cola et Unilever ? À peu près tout ce qu’on mange et boit. Tout ça aux mains de 4 PDG et quelques actionnaires. Vous imaginez la richesse de ces gens, l’excès de luxe qu’ils peuvent s’offrir ? Quand certains chez nous meurent de faim, de froid ?
Qui, donc, proposerait des réformes écologiques et éthiques ? … Moi ? Vous ? Nous, ensemble ? Et pourquoi pas ? Vous n’y connaissez rien en politique ? Moi non plus ! Et ça ne nous rend pas plus bêtes ou moins créatifs que d’autres.
La Convention Citoyenne pour le Climat, vous en avez entendu parler ? Un groupe de 150 citoyens français tirés au sort pour proposer des (149) réformes à la France. À quand cela en Belgique ? S’il faut un appel à l’État belge pour qu’il instaure cela chez nous, voici, Messieurs Dames du (non)gouvernement, nous vous demandons l’établissement immédiat d’une Convention Citoyenne pour le Climat !
Revenons-en à cette construction dans les champs, pas très loin. Il paraît que les bourgmestres se voient allouer leur budget (ou leur salaire, en tout cas de l’argent) selon le nombre d’habitants de leur commune — pas étonnant qu’ils fassent la course aux riverains, et la guerre à la nature.
Et pourtant il existe une solution fantastique qui permet d’allier les deux : les habitats alternatifs. Les tiny houses, les yourtes, les bennes de tracteurs réhabilitées. Presque toujours démontables et déplaçables, presque toujours habités par des gens qui utilisent peu d’énergie et font très attention à la Nature.
Est-ce que ce ne serait pas la solution parfaite, que de transformer ces champs en terre d’accueil pour ces habitats légers, des potagers pour nourrir les habitants, des herbes hautes pour nourrir les pollinisateurs, plus d’habitants et plus d’humus en même temps ?
J’ai écrit, j’ai écrit, déjà plus de 5 pages A4 couvertes (si vous avez lu jusqu’ici, merci!). Il est temps de conclure cette lettre. De nos jours les bouteilles à la mer sont dépassées, il est beaucoup plus actuel de jeter quelques mots sur internet — mais les résultats sont-ils plus probants ? Je l’espère…
Le monde n’a pas besoin d’une énième figure de proue, le monde a besoin que chacun d’entre nous devienne acteur du changement. Hier soir en essayant de m’endormir, ce matin encore, j’ai pleuré. Parce que j’ai peur. Je crève littéralement de trouille de ce que l’avenir réserve à l’humanité, me réserve. Mais pleurer ne me fera pas avancer.
Je ne signe pas cette lettre, par peur d’attaques ad personam que je ne suis pas prête à affronter oui (sur le net ça prend vite des dimensions ahurissantes), mais aussi parce qu’il n’est pas nécessaire d’attribuer ces paroles à une seule voix et à un seul visage ; je suis sûre de ne pas être la seule à avoir eu ces mots tourbillonnants dans ma tête.
Si d’autres les trouvent adéquats pour exprimer ce qu’ils ressentent et souhaitent les reprendre, les clamer avec moi, les partager, les voici.
Seuls on peut faire des petits gestes. Ensemble on peut changer le monde — faire éclore cette Révolution que j’appelle Révolution Tournesol, du nom de cette fleur qui, plutôt que de subir des conditions qui ne lui conviennent pas, se tourne vers le soleil pour maximiser ses capacités photosynthétiques.
Comme le dit David Koubbi dans le tome 3 des livres de la Relève et la Peste (L’éveil), les élus sont nos employés : ils sont payés par l’argent public pour faire ce qu’ils ont promis au public. Il est donc légitime que nous ayons le droit — et le devoir — de les rappeler à l’ordre lorsqu’ils ne servent que quelques intérêts (dont le leur propre), et non pas le nôtre, celui du peuple.
En passant par la désobéissance civile si nécessaire, jusqu’à ce que les choses soient remises à leur juste place. Boycottons les grands groupes, le plastique, les additifs, nos politiques qui vivent dans leur bulle déconnectée de la réalité. Entraidons-nous, échangeons. Cessons la passivité, agissons.
Agissons pour, dans 10 ans, 20 ans, 30 ans, pouvoir se souvenir et être fiers, fiers de notre courage à changer les choses. Ceux qui veulent continuer à s’acheter 10 shorts, très bien, tant que ces shorts sont produits de façon durable et éthique — avec le prix et la qualité adéquats.
À ceux qui ne respectent rien et mettent en danger la survie de l’humanité, la survie des générations suivantes et de tous les êtres vivants, mettons le hola, mettons des limites. Achetons en vrac, plantons nos potagers, reprenons le pouvoir dans nos villes et nos vies.
On peut le faire : des milliers de gens vivent avec moins de confort que nos plus riches Occidentaux, que nos Occidentaux moyens, et ils le vivent très bien, voire sont plus heureux. Nous avons des exemples qui nous tendent les bras, nous disent que c’est possible.
Faisons-le ; revenons à l’essentiel, pour que chacun puisse un jour avoir des petits- enfants à qui raconter qu’il a participé, à son échelle, au changement du monde qui a permis d’en refaire une Terre habitable. Soyons des tournesols.
Commentaires
Enregistrer un commentaire