Je me méfie des hommes « féministes »… et vous devriez le faire aussi

Source : https://entreleslignesentrelesmots.blog/2016/11/28/je-me-mefie-des-hommes-feministes-et-vous-devriez-le-faire-aussi/

 



Je me méfie des hommes « féministes »… et vous devriez le faire aussi

Si vous êtes un mec qui lisez ceci et que vous vous considérez comme un féministe, alors j’ai simplement quelques questions pour vous :

Êtes-vous plus susceptible d’arrêter de soutenir l’industrie du porno parce qu’elle exploite et brutalise violemment des femmes – ou parce que vous avez regardé trop de porno et que maintenant votre bite ne fonctionne plus très bien ?

Si chaque femme féministe dans le monde se réveillait un jour et décidait que les hommes ne sont pas autorisés à se dire féministes, respecteriez-vous cette limite en comprenant que vous n’avez pas droit à tout ce que vous voulez – ou vous battriez-vous pour votre droit à vous approprier un mot destiné aux femmes, et aux femmes seules ?

Avez-vous commencé à vous qualifier de féministe parce que vous avez un désir réel d’abandonner les façons dont vous bénéficiez du patriarcat – ou parce que vous pensiez que des femmes vous trouveraient plus intéressant si vous vous appropriiez leur identité ?

Et aviez-vous le moindre intérêt pour les enjeux des femmes (avortement, écart salarial, harcèlement de rue, objectivation sexuelle dans les médias) avant de prendre conscience du féminisme – ou avez-vous attendu jusqu’à ce qu’on vous dise que les hommes aussi souffrent du patriarcat avant de vous inquiéter de ce qu’il inflige aux femmes ?

Si cela n’est pas déjà tout à fait évident, chers Hommes Féministes, je me méfie de vous. (Ouais, je sais, « Mais pas de moi ! », « Pas de tous les hommes ! », Ugh, quoi que ce soit, taisez-vous.)

Je me méfie de vous, parce que j’ai remarqué une chose :

Au moment de discussions sur le racisme, je n’ai jamais entendu d’alliés blancs dire : « Je suis soucieux de cette question parce que la suprématie blanche nuit aussi aux Blancs ! »

Et lors de discussions sur la pauvreté, je n’ai pas entendu de militants riches dire des choses comme, « Je me soucie de cette question parce que les riches souffrent aussi de l’oppression de classe ! »

Alors pourquoi, grands dieux, pourquoi est-ce que je continue à entendre des hommes féministes dire, « Je me soucie de cette question parce que la suprématie masculine nuit aussi aux hommes ! »

Maintenant écoutez-moi. Je ne suis pas ici pour vous dire que ce n’est pas vrai. Que les hommes soient ou non également victimisés par le patriarcat n’est pas la question. Ce que je suis venue vous dire, c’est que si votre version du « féminisme » met au premier plan les besoins des hommes, eh ! bien mes chéris, ce n’est pas du féminisme.

Chaque fois que j’entends la phrase « Les hommes souffrent aussi ! N’oubliez pas les hommes ! », cela ressemble beaucoup trop à « Les femmes veulent que nous cessions d’exploiter nos privilèges afin qu’elles puissent vivre en paix et sans peur. D’accord, cool, cool. Mais qu’est-ce que moi, j’ai à y gagner ? »

Être un véritable allié des féministes, être pro-féministe, signifie comprendre certaines choses :

    Il est patriarcal de ne valider la douleur des femmes que lorsque elle est tangentielle à une douleur masculine.

    Il est patriarcal de ne reconnaître les femmes et leurs besoins qu’en relation avec vous et vos besoins.

    Il est patriarcal d’insérer des rappels de votre condition masculine dans chaque conversation spécifique à la condition des femmes.

Rappel amical : si vous êtes un homme vivant dans un patriarcat, ce qui signifie que vous bénéficiez du patriarcat à presque tout moment, le fait de vous qualifier de féministe ne vous empêche pas de perpétuer la suprématie masculine. Oui, vous m’avez bien entendu : même l’acte de vous qualifier de féministe peut être patriarcal.

Et la seule façon de savoir si votre « féminisme » demeure ou non patriarcal, c’est de vous livrer à cette démarche inconfortable que l’on appelle l’introspection. Demandez-vous : « Quand je me qualifie de féministe, qui en profite principalement ? Les femmes ? Ou moi ? »

Et, en passant, un mot pour vous toutes, les femmes féministes qui lisez ces lignes : n’allez pas penser que je m’apprête à vous laisser vous défiler.

Je suis tellement déçue de nous.

Lorsque nous présentons à des hommes nos points de vue féministes, nous perdons tellement, tellement de temps à chercher désespérément leur approbation et leur validation. Tellement de temps à faire tout en notre pouvoir pour nous dissocier du stéréotype de « la misandre ». (J’écris « nous » parce que j’en suis coupable moi aussi.)

Je comprends la situation, vous savez. J’ai souvent été dans cette situation inconfortable, quand j’essaie d’expliquer mon féminisme à un homme qui pense que le féminisme est stupide, et il rigole, se moque de moi, est condescendant, m’interrompt et me rabaisse. Je connais cette honte et cette humiliation, et je sais pourquoi nous faisons tout notre possible pour éviter de se sentir de cette façon. Je peux apprécier les motivations qui nous amènent à vouloir rendre le féminisme attrayant pour les hommes.

Mais nous devons cesser de prétendre que rendre le féminisme plus acceptable pour les hommes est indicatif de progrès réalisés pour les femmes. Toute personne qui se dit féministe, indépendamment de son sexe, doivent réfléchir aux questions suivantes :

Qu’en serait-il si le Patriarcat ne nuisait pas aux hommes?

Si nous vivions dans un monde où les hommes ne sont que bénéficiaires du Patriarcat, ne s’en trouvent jamais désavantagés?

Les hommes seraient-ils alors justifiés de ne pas se soucier de la douleur des femmes ? Du traumatisme collectif vécu par les femmes ? De notre peur, notre désespoir et notre asservissement mondial ?

La réponse est non, n’est-ce pas ? Parce que la prémisse voulant que les enjeux des femmes ne sont pertinents que lorsque le problème s’étend aux hommes est complètement tordue, n’est-ce pas ? Bon.

Alors, pourquoi faisons-nous activement la promotion d’une sorte de féminisme qui repose confortablement sur cette prémisse ?

Je dis : Nous ne devrions pas le faire.

Cette idée est controversée, je sais. Mais je parle sérieusement. Nous ne devrions pas faire appel à la sensibilité, la fragilité des hommes, quand nous parlons de nous-mêmes et de nos besoins spécifiques de femmes. Parce qu’il est, vous l’avez deviné, patriarcal d’attendre des femmes de nous modifier, de nous rétrécir, de nous étouffer, de nous censurer, et de nous cacher, dans le seul but d’accommoder et de réconforter les hommes. Nous le faisons depuis des années, et je suis fatiguée, et je sais que vous êtes fatiguées aussi.

 
Je vous laisse avec un concept auquel réfléchir : L’empathie.

Être émue par les sentiments d’une autre personne, même si vous ne partagez pas leur situation.

« Les hommes souffrent aussi du patriarcat » est un slogan néfaste et contre-productif, parce que même si cette phrase est vraie, elle perpétue l’idée que les sentiments des femmes, leurs besoins et leurs situations de crise ne sont pas pertinents tant que les hommes ne décident pas qu’ils le sont.

Un slogan plus productif, serait : « Les femmes souffrent du patriarcat et c’est une raison suffisante pour y mettre fin. »

Voilà ce à quoi ressemble l’empathie. C’est ce que nous devrions encourager chez nos alliés masculins. Et en attendant le jour où plus d’hommes féministes masculins seront plus motivés par l’empathie plutôt que par le faux «féminisme» narcissique et axé sur les hommes qui semble de plus en plus populaire de nos jours, je continuerai à dire que je me méfie des hommes « féministes » et que vous devriez le faire aussi.

 

Alicen Grey, juillet 2015

Version originale : https://medium.com/@alicengrey/i-m-suspicious-of-male-feminists-and-you-should-be-too-441055a2e614#.4200vw8u2

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