Grand-père

Texte dit pour mon grand-père



Lui il s’appelle Maurice. Le papé.
La vie a quitté son corps jeudi dernier.
 
Je ne crois pas en Dieu, je crois en la vie, je suis vivant, la vie est en moi.
Et     MA     vie     vient     de     SA     vie.
Sa vie, il l’avait reçue de ses parents il y a 98 ans. Puis il a eu envie de la transmettre. Avec Françoise, il a transmis la vie à Roland, à Georges, à Marie-France. Marie-France a reçu cette vie et elle a eu envie de la transmettre, avec Denis : ils ont transmis la vie à Mathias et ils m’ont transmis la vie. Et je suis là. Et, avec Jenni, j’ai eu envie de transmettre la vie : Esteban et Manolo sont là. Et nous sommes tous les fruits d’une belle envie de transmettre la vie. Donc d’une belle envie de vivre.


Alors je tiens à dire quelque chose pour ça. Ici et maintenant, je tiens à célébrer la vie. Pour moi célébrer la vie c’est la vivre. Vivre avec ferveur et intensité tout ce qui me rencontre. Ne jamais laisser s’embourber dans l’insignifiance cette vie qui m’a été transmise par le miracle de la naissance. La savourer à pleine bouche, en accepter toutes les facettes. Dont la mort, et la mort de ceux qu’on aime.


Je tiens à vivre la tristesse que provoque cette perte. Et je tiens à vivre la joie de ces moments tous ensemble, entre vivants. Ces moments ne sont pas comme les autres. Ces moments sont intenses. Ces moments nous parlent des liens entre nous. Ces moments nous parlent d’amour. Pourquoi les éviter, pourquoi les rater, pourquoi faire comme si ce qu’il s’y passe est anodin ?


On dit que ça fait mal de pleurer. Ce n’est pas vrai. Ce qui fait mal, c’est de retenir ses pleurs. Ce qui fait une boule dans la gorge, c’est de retenir l’énergie de l’émotion qui veut sortir de soi. Les émotions ont besoin de circuler, en soi, en dehors de soi, entre nous. C’est ça qu’il se passe dans un moment comme celui là. C’est important, je crois, que ça puisse se passer, pour chacun et tous ensemble.


Je tiens à être présent. Suis-je bien présent ? Et de quelles présences ?


Suis-je présent pour mon grand père ? Pour prendre le temps de ressentir ce qu’il était pour moi, les liens qu’il a tissé, ce que nous avons partagé, et ce qu’il est pour moi encore aujourd’hui, malgré la mort ?
Cette personne m’a appris l’engagement. Vis-à-vis de soi et des autres.
Cette personne m’a appris à jouer à la belote.
Cette personne m’a appris le goût des fruits et légumes du jardin.
Sans en dire beaucoup, cette personne m’a appris l’absurdité de la guerre, donc le goût de la paix.
Cette personne m’a appris que quand il me demandait « alors qu’est ce que tu racontes ? », je ne savais jamais quoi répondre. Aujourd’hui, je saurais.
Cette personne m’a appris, malgré lui, que ça faisait mal longtemps de ne pas savoir lâcher prise, de ne pas savoir expirer. Inspir, expir. Donner, recevoir.
Cette personne était plus que ce que j’ai connu de lui.
Cette personne est le père de ma mère. Cette personne est mon grand-père. Il sera toujours là.


Suis-je présent pour moi ? Pour laisser s’exprimer en moi tout ce qui me traverse quand un humain meurt ?
Je suis triste. Je suis perturbé. Je suis en colère. Je suis joyeux.


Suis-je présent pour vous ? Pour être auprès de chacun, prendre le temps de partager avec sincérité ce que chacun vit, prendre soin de chaque relation ?


Etre présent. Accepter. Savourer. Respirer. Les morts m’apprennent à vivre.
Merci.
Les vivants m’ont donné la vie. Je l’aime.
Merci.
 

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