Source : Kaizen
En parallèle, en 2009, alors âgé de 30 ans, j’ai commencé à avoir des crises de spondylarthrite ankylosante, une maladie auto-immune que les médecins m’expliquaient chaque fois d’une manière différente. Mon état empirait, j’avais de plus en plus de mal à marcher : ma vie prenait un tournant radical. Le déclic est venu d’un médecin revenu d’Inde, où il avait étudié la médecine ayurvédique. Il ne parlait pas de « maladie », car il s’agit de notre propre organisme qui se met à produire des anticorps qui se retournent contre lui. Selon ce médecin, si le corps et l’esprit sont capables de créer ce dysfonctionnement, ils sont aussi capables de faire l’inverse. Il m’a dit qu’il fallait comprendre les raisons pour lesquelles mon corps avait déclenché cela. J’ai pris conscience que je reproduisais dans mon propre organisme ce que j’observais et que je ne supportais pas : l’être humain détruisant la nature dont il fait partie. J’ai quitté la ville, adopté une alimentation spécifique [régime hypotoxique] et, peu à peu, je me suis rétabli, contre les pronostics de la plupart des médecins que j’avais consultés.
Quelles ont été vos motivations pour créer Alternatiba ?
L’idée est née en 2012 au sein de l’association Bizi !. Nous nous sommes demandé comment nous pourrions lancer un rassemblement citoyen pour le climat dans la perspective de la COP21. La difficulté à mobiliser sur ce sujet tenait à la manière dont on en parlait. Les explications scientifiques suscitaient soit de l’indifférence, soit un sentiment d’impuissance, qui ne débouchaient pas sur l’engagement et l’action. Avec le projet Alternatiba [« alternative » en basque], on a voulu aborder la question du dérèglement climatique non pas sous l’angle des problèmes, mais sous celui des réponses, dans tous les domaines de la vie quotidienne : transports, alimentation et agriculture, économie, énergie, habitat… En octobre 2013 est alors né le Village des alternatives, à Bayonne. Le temps d’une journée, on a transformé les places, parkings et rues en lieux d’exposition où l’on pouvait découvrir toutes ces solutions dans des espaces thématiques. Dans les deux ans qui ont suivi, 107 Villages des alternatives ont été organisés en France et en Europe !
Comment s’articulent les propositions de solutions concrètes d’Alternatiba et la force d’opposition d’ANV-COP21 ?
Nous appelons ça « les deux jambes » : les alternatives et la résistance sont liées. On ne peut pas se contenter d’empêcher la construction de l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, l’exploitation du gaz de schiste ou le développement de l’énergie nucléaire, sans mettre en même temps en avant des solutions, car il ne s’agit pas seulement de stopper un modèle, il s’agit de le remplacer par quelque chose ! À l’inverse, on ne peut pas non plus se contenter de développer des alternatives, parce que le système capitaliste détruit notre planète très rapidement. Dans l’action non violente, la dimension constructive et la dimension d’opposition ne sont pas fondamentalement différentes. Même une action d’interposition, qui exerce une certaine forme de contrainte, est une action positive et constructive, puisqu’elle permet de se faire reconnaître comme interlocuteur, de favoriser les conditions du dialogue, d’agir dans le respect des personnes et de chercher à faire changer les états d’esprit. Ce n’est pas une idée nouvelle : Gandhi marchait déjà sur ces « deux jambes »… Prenons l’exemple des actions qu’il avait impulsées contre le tissu industriel britannique. Il y avait d’un côté le boycott, qui visait à saper les sources financières de l’Empire britannique en Inde. Et, d’un autre côté, Gandhi appelait les Indiens à reprendre l’usage du rouet, instrument traditionnel indien pour filer le coton. Cet objet ancien est ainsi devenu un symbole de résistance, de fierté et de réappropriation de l’économie indienne. Gandhi avait compris qu’il ne fallait pas seulement combattre le pouvoir britannique, mais aussi reconstruire l’Inde.
Quel regard portez-vous sur les mouvements qui ne proposent que l’une ou l’autre de ces formes d’action ?
Je n’ai pas l’impression qu’il y en ait beaucoup à ne proposer que l’une ou l’autre. Quand j’écoute Pierre Rabhi, par exemple, j’entends un message qui ne fait pas l’économie d’un diagnostic sur le manque de sens du modèle qui nous est proposé. Il regarde les choses en face, il dénonce la destruction de l’environnement et la perte de sens dans nos vies. Et pourtant, on ne reçoit pas ce message de manière négative, car il parle aussi de ce qui est positif et de ce que nous pouvons faire, et, surtout, l’ensemble est mis dans une perspective de changement. De même, à Notre-Dame-des-Landes, la lutte est très marquée par l’opposition au projet d’aéroport, mais il y a aussi beaucoup de projets qui sont développés sur place et qui sont mis en avant. Il y a une critique systémique contre l’aéroport et son monde, mais il y a bien aussi la proposition d’un autre monde.
Vous parlez de la nécessité de mettre en place des solutions radicales, mais comment concilier un mouvement populaire avec la radicalité ?
Nous devons changer nos modes de vie et nos modes de production radicalement, à l’échelle planétaire et dans un délai extrêmement court. Il va donc falloir que tout le monde change, et c’est pour cela que nous pensons que c’est un mouvement citoyen de masse, populaire, qui doit relever ce défi, et pas seulement des activistes écologistes. La dimension populaire et la dimension radicale peuvent être en contradiction, mais il faut justement trouver un moyen de les concilier. Car si on propose des changements radicaux sans se soucier de la manière dont ils peuvent être acceptés par la population, on ne pourra pas enclencher de mouvement de masse. À l’inverse, si on ne dit que ce que la plupart des gens veulent entendre, on peut éventuellement susciter une large adhésion populaire, mais qui ne pourra pas aboutir aux changements radicaux dont on a besoin pour empêcher le chaos climatique. Prétendre par exemple qu’on peut remplacer toute l’énergie des combustibles fossiles et nucléaires par des énergies renouvelables, sans revoir notre mode de consommation, c’est mentir. Il faut donc expliquer en quoi la sobriété heureuse permettra de vivre bien, et même mieux avec moins d’énergie.
Il y a une forme d’injonction dans le « il faut », qui peut rebuter. On réagit mieux et plus vite à une invitation au plaisir de faire les choses. Comment concilier cette injonction et un engagement individuel déclenché par le plaisir ?
Chez Alternatiba comme chez ANV-COP21, on n’a jamais pris de gants pour poser le diagnostic très grave de la situation. Mais notre message s’accompagne de propositions d’actions très concrètes qui font sens et qui suscitent l’espoir. Alors le choc du diagnostic se transforme en réaction positive et en engagement. Ensuite, c’est la dimension collective de l’action qui renforce la motivation. Le sentiment d’impuissance et le fatalisme ambiants tiennent en partie au fait que les propositions de changement à l’échelle individuelle apparaissent vite comme des gestes contraignants et surtout dérisoires par rapport à la situation globale. Alors que dans une démarche collective, ces actions sont beaucoup plus motivantes, enrichissantes et épanouissantes. Prenez le covoiturage ou les Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne). Les actions non violentes d’opposition fonctionnent de la même manière. On ne peut pas affronter seul tout un système, mais notre détermination est multipliée quand on voit qu’un grand nombre de personnes s’engagent dans la même action que nous.
Comment concilier radicalité et démocratie ? Par exemple, le consensus est-il utilisé au sein d’un mouvement comme Alternatiba ?
Alternatiba essaie d’allier la démocratie et l’efficacité dans ses prises de décision. Plus un fonctionnement est démocratique, et plus il requiert de la méthode ; et plus une méthode est complexe, plus elle requiert de la discipline ! Les réunions d’Alternatiba sont donc marquées par la méthode et la discipline : elles commencent et se terminent à l’heure, les points des ordres du jour sont minutés, les participants demandent la parole et attendent leur tour avant de s’exprimer, ils utilisent des signes visuels comme ceux des Indignés espagnols ou de Nuit debout pour fluidifier les discussions, etc. Le mode de prise de décision au consensus est celui qui permet le plus la construction d’une vision commune, mais c’est aussi celui qui demande le plus de temps. Si on utilisait ce mode de fonctionnement pour toutes les décisions, y compris la police de caractères à utiliser sur une affiche, on tuerait la démocratie, car on n’aurait alors plus le temps d’approfondir les questions qui ont une réelle importance politique et stratégique. Or la démocratie sert aussi à ce que chacun puisse s’approprier les enjeux d’une décision, et cela prend du temps, surtout pour un mouvement comme Alternatiba, dans lequel il y a beaucoup de personnes qui vivent leur première expérience militante. Il convient donc d’utiliser des modes de décision plus rapides – comme le consentement ou le vote – pour les sujets moins importants. Il n’y a donc pas de système de décision parfait dans l’absolu. La démocratie est toujours à construire, et son art est de savoir adapter les modes de prise de décision à différentes situations.
Y a-t-il des frontières morales, philosophiques ou citoyennes au-delà desquelles on peut recourir à la désobéissance civile ?
La désobéissance civile repose sur une conception du rôle du citoyen, dans une démocratie, qui consiste non pas à obéir aux lois de manière aveugle, mais à faire ce qui est juste. Or les lois ne sont pas toujours justes, ou suffisantes pour garantir la justice. On l’a vu à propos des OGM : les lois ne permettaient pas de nous protéger de la contamination génétique ; on le voit sur l’évasion fiscale : les lois ne permettent pas de combattre ce fléau de manière efficace. Face à de telles situations, la désobéissance civile consiste à mener des actions illégales, non pas pour rejeter le principe de la loi, mais au contraire pour demander que la loi soit plus juste. Mais ce qui semble juste aux uns peut sembler injuste à d’autres. C’est pourquoi les actions de désobéissance civile doivent susciter un débat et aller dans le sens de la démocratie, notamment en étant menées de manière non violente.
En 2015, quarante actions de réquisition citoyenne de chaises ont été menées dans des banques impliquées dans le système de l’évasion fiscale, par des mouvements comme Bizi !, Attac, Les Amis de la Terre, ANV-COP21 et les Jedi for Climate. Bien sûr, c’est illégal, mais cela permet de révéler une situation d’injustice qui concerne l’ensemble de la société. Chaque année, en France, 60 à 80 milliards d’euros sont détournés des finances publiques à cause de l’évasion fiscale. Nous sommes à un moment de l’histoire de l’humanité où nous devons révolutionner notre mode de vie à l’échelle planétaire en quelques années. Cela demande l’engagement de tout le monde, de l’inventivité, de la coopération, de la solidarité et des moyens financiers. Or les grandes banques qui organisent l’évasion fiscale font exactement l’inverse : elles permettent aux plus grandes fortunes et aux plus puissantes entreprises de ne pas participer à l’effort collectif, renforcent le chacun pour soi et nous privent de l’argent qui pourrait financer la transition sociale et écologique. Dans ces conditions, prendre quelques chaises dans les agences pour exprimer notre refus de cette situation, c’est certes une action illégale, mais légitime, et responsable. Suite à l’une de ces actions et à une plainte de la BNP, je suis convoqué au tribunal de Dax, le 9 janvier 2017, pour « vol en réunion ». Je serai défendu par Eva Joly, qui sera mon avocate, et l’objectif sera de faire valoir la légitimité de l’action et le fait qu’elle a été menée pour l’intérêt général. Des organisations associatives et syndicales appellent à se mobiliser massivement à Dax ce jour-là pour organiser un autre procès en parallèle : celui de l’évasion fiscale !
On voit souvent que les manifestations, les rassemblements de masse, sont propices à des formes d’excitation ou de laisser-aller. Comment se prémunir d’éventuels dérapages ? La méditation est-elle un outil utilisé dans les groupes ?
C’est une question qu’on s’est posée avant la COP21. On savait qu’il y aurait des rassemblements massifs, et on avait vu lors de la manifestation contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes à Nantes en février 2014 que la situation pouvait dégénérer en affrontements entre des activistes qui avaient choisi l’action violente et les forces de l’ordre. La violence à Sivens était allée jusqu’à faire un mort [Rémi Fraisse] parmi des militants pacifiques en octobre 2014. On redoutait que cette mécanique se renouvelle à l’occasion des mobilisations autour de la COP21. Il suffit qu’un petit nombre de personnes utilisent la violence pour que la dimension non violente de l’ensemble de l’action soit compromise. Nous avons lancé le mouvement ANV-COP21 pour organiser des actions non violentes pendant la COP21, mais surtout pour poser les bases d’un mouvement à la Martin Luther King. Un mouvement citoyen de masse, à la fois radical et populaire, non violent et déterminé, qu’on pourrait continuer de construire après la COP21. La première chose nécessaire était d’affirmer notre ligne stratégique 100 % non violente. En France, cela suscite beaucoup de réticences. On l’a vu à l’occasion des Nuits debout, où certains étaient pour la non-violence, et d’autres pour l’action violente. Une sorte de compromis est alors souvent appliqué : chacun fait comme il le souhaite. Sauf que si l’action violente n’est pas compromise par l’action non violente, l’inverse n’est pas vrai ! La deuxième chose importante, c’est que la non-violence demande de la formation. Dans une situation où l’on subit de la violence, il est spontané d’y répondre par la violence ; il faut donc se préparer. Cela demande aussi de définir précisément des critères d’action, car chacun a sa propre appréciation de ce qui est violent ou pas. ANV-COP21 définit ainsi un ensemble de critères qui permettent de situer quel type d’action va être mené, qui exclut notamment la violence physique, mais aussi la violence verbale, ainsi que les dégradations matérielles qui ne seraient pas décidées collectivement et assumées publiquement. ANV-COP21 ne prétend pas que c’est une définition universelle de la non-violence, mais une proposition de cadre pour mener une action de manière collective. Enfin, il faut s’être préparé à réagir au cas où, malgré tout, des personnes rejoindraient l’action dans l’objectif d’utiliser la violence, sans l’adhésion des organisateurs ni des autres participants. Si un tel cas se présentait, on tenterait d’abord de les dissuader d’intervenir par la discussion, en expliquant que le mouvement auquel elles participent a choisi la stratégie de l’action non-violente. Si des actions violentes ont néanmoins lieu, il s’agirait alors de s’en dissocier, en s’éloignant et en levant les mains en signe de non-violence. À ce stade, il faut éviter que sur les images l’action non violente puisse être confondue avec les actions violentes. En utilisant cette méthode, ANV-COP21 a impulsé trois jours d’actions non violentes pour perturber un sommet de pétroliers à Pau en avril 2016. Un millier de personnes ont participé à des actions très diversifiées, comme une chaîne humaine dans laquelle les enfants étaient les bienvenus, un die-in géant, un concert sauvage, ainsi que des actions directes d’interposition pour empêcher physiquement la tenue du sommet. Le résultat a été très étonnant, car on pouvait voir à la fois des centaines de personnes renversant des barrières de sécurité et débordant des lignes de police avec des boucliers en mousse, sans blesser personne, mais aussi, en pleine perturbation du sommet, des discussions entre les activistes et les policiers, et entre les activistes et les pétroliers. C’est un bon exemple de la capacité de l’action non violente à rassembler différents publics.
Dans le contexte d’urgence où nous sommes, ne serait-il pas plus efficace d’agréger davantage les mouvements disparates pour avoir plus de voix et d’impact dans les actions menées ?
Cela fait partie de nos préoccupations, tant à Alternatiba qu’à ANV-COP21 : comment faire en sorte que nos mouvements n’apportent pas encore un peu plus de division en s’ajoutant aux autres, comment être un élément complémentaire qui vienne poursuivre les actions déjà menées ? Ce sont des questions sur lesquelles on avance au fur et à mesure, en rencontrant les autres associations, en voyant avec elles quels types d’actions il est possible de mener ensemble. À l’origine, l’objectif d’Alternatiba était de rassembler tous les acteurs qui agissaient déjà dans chaque thème, de fédérer les mouvements. On est donc pleinement dans la coopération, dans la synergie. On se pose également ces questions pour ANV-COP21 : nous ne sommes pas les seuls à mener des actions non violentes, à nous préoccuper du climat, certes. Mais ce qui manque en France aujourd’hui, c’est la capacité de mener des actions non violentes de masse. Lorsqu’on a perturbé le sommet des pétroliers à Pau, on n’était pas des experts du forage en mer, il y a des associations qui connaissaient bien mieux le sujet que nous. Mais on a mis en œuvre un mouvement qui permettait d’organiser des actions de masse, on a fédéré les associations, chacune est venue expliquer les enjeux, les objectifs atteignables dans son propre domaine. Ce qui nous caractérise de manière générale, c’est d’être un dénominateur commun. Si on place le climat au cœur de notre mouvement, c’est parce qu’on a compris, en écoutant les discours scientifiques, que la question climatique est celle qui conditionne tous les autres enjeux – océans, forêts, biodiversité, paix, démocratie, justice sociale, etc. Toutes ces batailles ne seront pas les mêmes dans un monde à + 0,85 °C, + 2 °C ou à + 4 °C. C’est parce que nous sommes des militants pour la justice sociale et pour la démocratie que nous sommes des militants climatiques. Alternatiba et ANV-COP21 doivent être par nature des mouvements de symbiose, le climat étant ce qui rassemble et ce qui concerne tout le monde.
Parvenez-vous personnellement à vivre en cohérence avec les mouvements dans lesquels vous êtes engagé ?
J’essaie au maximum d’adopter les solutions proposées en matière d’alimentation, d’énergie, de consommation… Mais il me reste pas mal de contradictions. J’utilise beaucoup la voiture notamment. Au niveau de l’alimentation, c’est plus facile, j’ai plus de possibilités : je suis végétarien et je consomme majoritairement des produits locaux. La cohérence est une question essentielle, mais elle doit être appréhendée en fonction d’une autre question qu’il ne faut pas perdre de vue : l’objectif n’est pas uniquement de se changer soi-même, mais d’impulser des changements à l’échelle de la société. Ce sont deux choses différentes qu’il faut concilier au mieux. Toute lutte a un coût écologique. Alternatiba a nécessité qu’on imprime énormément d’affiches pour nous faire connaître. Ça peut sembler contradictoire de couper des arbres pour faire du papier et coller des affiches partout qui termineront en déchets. Mais si on essaie d’avoir une empreinte écologique nulle, on n’aura plus les moyens de batailler. Pour montrer l’exemple, il ne faut pas seulement être exemplaire, il faut être visible, il faut être compris, il faut donc organiser des actions, des mobilisations, qui ont une empreinte écologique. Ne tombons pas dans le piège de ceux qui pointent un détail pour remettre en cause la pertinence de toute une démarche. Les écologistes vivent dans le même monde que les autres, un monde plein de contradictions où on n’a pas encore les moyens de vivre complètement ce que l’on prône. Ce qui est important, c’est d’être dans une démarche de changement. Et, dès lors qu’on est dans une dynamique collective, nos efforts de changement deviennent très épanouissants, motivants, et cela donne envie de continuer à changer dans d’autres domaines !
Propos recueillis par Pascal Greboval
Jon Palais : Les deux faces de la non-violence
Jon Palais est l’un des porte-parole d’Alternatiba et d’ANV-COP211 (Action non‑violente COP21). Il manie l’énergie des propositions et la force de l’opposition comme le yin et le yang pour préserver notre planète et construire une autre société. La non-violence est au cœur de cette double démarche. Rencontre avec un enragé de nature.
Pascal Greboval : Comment devient-on l’un des porte-parole d’Alternatiba et d’ANV-COP21 ?
Jon Palais : C’est la conjugaison d’un parcours personnel et politique. Je me suis toujours senti proche de la nature et j’ai très vite été inquiété par la disparition de certaines espèces. J’ai commencé à militer à Greenpeace en 2006. À la même époque, j’ai revu le film de Richard Attenborough sur Gandhi [Gandhi, 1982], qui m’a convaincu de la légitimité de l’action non violente. Les actions directes non violentes créent des situations de confrontation : on s’interpose pour bloquer un convoi ou un chantier, par exemple, ce qui engendre un conflit. Mais le conflit n’est pas la violence : c’est la façon dont il se déroule qui peut dégénérer en violence, ou a contrario évoluer de manière positive. Si on désamorce la tension et la violence, si on capte l’attention, alors le dialogue peut s’installer. À partir de 2011, j’ai milité aussi auprès de l’association altermondialiste Bizi !, au Pays basque. C’est à ce moment que j’ai compris que la bataille du climat était centrale. Cette lutte conditionne non seulement les enjeux environnementaux et de justice sociale, mais aussi les enjeux de démocratie, de paix, et même de survie de l’humanité. C’est en comprenant cela que j’ai participé, avec Bizi !, au lancement d’Alternatiba, puis d’ANV-COP21, deux dynamiques de mobilisation citoyenne pour le climat.En parallèle, en 2009, alors âgé de 30 ans, j’ai commencé à avoir des crises de spondylarthrite ankylosante, une maladie auto-immune que les médecins m’expliquaient chaque fois d’une manière différente. Mon état empirait, j’avais de plus en plus de mal à marcher : ma vie prenait un tournant radical. Le déclic est venu d’un médecin revenu d’Inde, où il avait étudié la médecine ayurvédique. Il ne parlait pas de « maladie », car il s’agit de notre propre organisme qui se met à produire des anticorps qui se retournent contre lui. Selon ce médecin, si le corps et l’esprit sont capables de créer ce dysfonctionnement, ils sont aussi capables de faire l’inverse. Il m’a dit qu’il fallait comprendre les raisons pour lesquelles mon corps avait déclenché cela. J’ai pris conscience que je reproduisais dans mon propre organisme ce que j’observais et que je ne supportais pas : l’être humain détruisant la nature dont il fait partie. J’ai quitté la ville, adopté une alimentation spécifique [régime hypotoxique] et, peu à peu, je me suis rétabli, contre les pronostics de la plupart des médecins que j’avais consultés.
Quelles ont été vos motivations pour créer Alternatiba ?
L’idée est née en 2012 au sein de l’association Bizi !. Nous nous sommes demandé comment nous pourrions lancer un rassemblement citoyen pour le climat dans la perspective de la COP21. La difficulté à mobiliser sur ce sujet tenait à la manière dont on en parlait. Les explications scientifiques suscitaient soit de l’indifférence, soit un sentiment d’impuissance, qui ne débouchaient pas sur l’engagement et l’action. Avec le projet Alternatiba [« alternative » en basque], on a voulu aborder la question du dérèglement climatique non pas sous l’angle des problèmes, mais sous celui des réponses, dans tous les domaines de la vie quotidienne : transports, alimentation et agriculture, économie, énergie, habitat… En octobre 2013 est alors né le Village des alternatives, à Bayonne. Le temps d’une journée, on a transformé les places, parkings et rues en lieux d’exposition où l’on pouvait découvrir toutes ces solutions dans des espaces thématiques. Dans les deux ans qui ont suivi, 107 Villages des alternatives ont été organisés en France et en Europe !
Comment s’articulent les propositions de solutions concrètes d’Alternatiba et la force d’opposition d’ANV-COP21 ?
Nous appelons ça « les deux jambes » : les alternatives et la résistance sont liées. On ne peut pas se contenter d’empêcher la construction de l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, l’exploitation du gaz de schiste ou le développement de l’énergie nucléaire, sans mettre en même temps en avant des solutions, car il ne s’agit pas seulement de stopper un modèle, il s’agit de le remplacer par quelque chose ! À l’inverse, on ne peut pas non plus se contenter de développer des alternatives, parce que le système capitaliste détruit notre planète très rapidement. Dans l’action non violente, la dimension constructive et la dimension d’opposition ne sont pas fondamentalement différentes. Même une action d’interposition, qui exerce une certaine forme de contrainte, est une action positive et constructive, puisqu’elle permet de se faire reconnaître comme interlocuteur, de favoriser les conditions du dialogue, d’agir dans le respect des personnes et de chercher à faire changer les états d’esprit. Ce n’est pas une idée nouvelle : Gandhi marchait déjà sur ces « deux jambes »… Prenons l’exemple des actions qu’il avait impulsées contre le tissu industriel britannique. Il y avait d’un côté le boycott, qui visait à saper les sources financières de l’Empire britannique en Inde. Et, d’un autre côté, Gandhi appelait les Indiens à reprendre l’usage du rouet, instrument traditionnel indien pour filer le coton. Cet objet ancien est ainsi devenu un symbole de résistance, de fierté et de réappropriation de l’économie indienne. Gandhi avait compris qu’il ne fallait pas seulement combattre le pouvoir britannique, mais aussi reconstruire l’Inde.
Quel regard portez-vous sur les mouvements qui ne proposent que l’une ou l’autre de ces formes d’action ?
Je n’ai pas l’impression qu’il y en ait beaucoup à ne proposer que l’une ou l’autre. Quand j’écoute Pierre Rabhi, par exemple, j’entends un message qui ne fait pas l’économie d’un diagnostic sur le manque de sens du modèle qui nous est proposé. Il regarde les choses en face, il dénonce la destruction de l’environnement et la perte de sens dans nos vies. Et pourtant, on ne reçoit pas ce message de manière négative, car il parle aussi de ce qui est positif et de ce que nous pouvons faire, et, surtout, l’ensemble est mis dans une perspective de changement. De même, à Notre-Dame-des-Landes, la lutte est très marquée par l’opposition au projet d’aéroport, mais il y a aussi beaucoup de projets qui sont développés sur place et qui sont mis en avant. Il y a une critique systémique contre l’aéroport et son monde, mais il y a bien aussi la proposition d’un autre monde.
Vous parlez de la nécessité de mettre en place des solutions radicales, mais comment concilier un mouvement populaire avec la radicalité ?
Nous devons changer nos modes de vie et nos modes de production radicalement, à l’échelle planétaire et dans un délai extrêmement court. Il va donc falloir que tout le monde change, et c’est pour cela que nous pensons que c’est un mouvement citoyen de masse, populaire, qui doit relever ce défi, et pas seulement des activistes écologistes. La dimension populaire et la dimension radicale peuvent être en contradiction, mais il faut justement trouver un moyen de les concilier. Car si on propose des changements radicaux sans se soucier de la manière dont ils peuvent être acceptés par la population, on ne pourra pas enclencher de mouvement de masse. À l’inverse, si on ne dit que ce que la plupart des gens veulent entendre, on peut éventuellement susciter une large adhésion populaire, mais qui ne pourra pas aboutir aux changements radicaux dont on a besoin pour empêcher le chaos climatique. Prétendre par exemple qu’on peut remplacer toute l’énergie des combustibles fossiles et nucléaires par des énergies renouvelables, sans revoir notre mode de consommation, c’est mentir. Il faut donc expliquer en quoi la sobriété heureuse permettra de vivre bien, et même mieux avec moins d’énergie.
Il y a une forme d’injonction dans le « il faut », qui peut rebuter. On réagit mieux et plus vite à une invitation au plaisir de faire les choses. Comment concilier cette injonction et un engagement individuel déclenché par le plaisir ?
Chez Alternatiba comme chez ANV-COP21, on n’a jamais pris de gants pour poser le diagnostic très grave de la situation. Mais notre message s’accompagne de propositions d’actions très concrètes qui font sens et qui suscitent l’espoir. Alors le choc du diagnostic se transforme en réaction positive et en engagement. Ensuite, c’est la dimension collective de l’action qui renforce la motivation. Le sentiment d’impuissance et le fatalisme ambiants tiennent en partie au fait que les propositions de changement à l’échelle individuelle apparaissent vite comme des gestes contraignants et surtout dérisoires par rapport à la situation globale. Alors que dans une démarche collective, ces actions sont beaucoup plus motivantes, enrichissantes et épanouissantes. Prenez le covoiturage ou les Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne). Les actions non violentes d’opposition fonctionnent de la même manière. On ne peut pas affronter seul tout un système, mais notre détermination est multipliée quand on voit qu’un grand nombre de personnes s’engagent dans la même action que nous.
Comment concilier radicalité et démocratie ? Par exemple, le consensus est-il utilisé au sein d’un mouvement comme Alternatiba ?
Alternatiba essaie d’allier la démocratie et l’efficacité dans ses prises de décision. Plus un fonctionnement est démocratique, et plus il requiert de la méthode ; et plus une méthode est complexe, plus elle requiert de la discipline ! Les réunions d’Alternatiba sont donc marquées par la méthode et la discipline : elles commencent et se terminent à l’heure, les points des ordres du jour sont minutés, les participants demandent la parole et attendent leur tour avant de s’exprimer, ils utilisent des signes visuels comme ceux des Indignés espagnols ou de Nuit debout pour fluidifier les discussions, etc. Le mode de prise de décision au consensus est celui qui permet le plus la construction d’une vision commune, mais c’est aussi celui qui demande le plus de temps. Si on utilisait ce mode de fonctionnement pour toutes les décisions, y compris la police de caractères à utiliser sur une affiche, on tuerait la démocratie, car on n’aurait alors plus le temps d’approfondir les questions qui ont une réelle importance politique et stratégique. Or la démocratie sert aussi à ce que chacun puisse s’approprier les enjeux d’une décision, et cela prend du temps, surtout pour un mouvement comme Alternatiba, dans lequel il y a beaucoup de personnes qui vivent leur première expérience militante. Il convient donc d’utiliser des modes de décision plus rapides – comme le consentement ou le vote – pour les sujets moins importants. Il n’y a donc pas de système de décision parfait dans l’absolu. La démocratie est toujours à construire, et son art est de savoir adapter les modes de prise de décision à différentes situations.
Y a-t-il des frontières morales, philosophiques ou citoyennes au-delà desquelles on peut recourir à la désobéissance civile ?
La désobéissance civile repose sur une conception du rôle du citoyen, dans une démocratie, qui consiste non pas à obéir aux lois de manière aveugle, mais à faire ce qui est juste. Or les lois ne sont pas toujours justes, ou suffisantes pour garantir la justice. On l’a vu à propos des OGM : les lois ne permettaient pas de nous protéger de la contamination génétique ; on le voit sur l’évasion fiscale : les lois ne permettent pas de combattre ce fléau de manière efficace. Face à de telles situations, la désobéissance civile consiste à mener des actions illégales, non pas pour rejeter le principe de la loi, mais au contraire pour demander que la loi soit plus juste. Mais ce qui semble juste aux uns peut sembler injuste à d’autres. C’est pourquoi les actions de désobéissance civile doivent susciter un débat et aller dans le sens de la démocratie, notamment en étant menées de manière non violente.
En 2015, quarante actions de réquisition citoyenne de chaises ont été menées dans des banques impliquées dans le système de l’évasion fiscale, par des mouvements comme Bizi !, Attac, Les Amis de la Terre, ANV-COP21 et les Jedi for Climate. Bien sûr, c’est illégal, mais cela permet de révéler une situation d’injustice qui concerne l’ensemble de la société. Chaque année, en France, 60 à 80 milliards d’euros sont détournés des finances publiques à cause de l’évasion fiscale. Nous sommes à un moment de l’histoire de l’humanité où nous devons révolutionner notre mode de vie à l’échelle planétaire en quelques années. Cela demande l’engagement de tout le monde, de l’inventivité, de la coopération, de la solidarité et des moyens financiers. Or les grandes banques qui organisent l’évasion fiscale font exactement l’inverse : elles permettent aux plus grandes fortunes et aux plus puissantes entreprises de ne pas participer à l’effort collectif, renforcent le chacun pour soi et nous privent de l’argent qui pourrait financer la transition sociale et écologique. Dans ces conditions, prendre quelques chaises dans les agences pour exprimer notre refus de cette situation, c’est certes une action illégale, mais légitime, et responsable. Suite à l’une de ces actions et à une plainte de la BNP, je suis convoqué au tribunal de Dax, le 9 janvier 2017, pour « vol en réunion ». Je serai défendu par Eva Joly, qui sera mon avocate, et l’objectif sera de faire valoir la légitimité de l’action et le fait qu’elle a été menée pour l’intérêt général. Des organisations associatives et syndicales appellent à se mobiliser massivement à Dax ce jour-là pour organiser un autre procès en parallèle : celui de l’évasion fiscale !
On voit souvent que les manifestations, les rassemblements de masse, sont propices à des formes d’excitation ou de laisser-aller. Comment se prémunir d’éventuels dérapages ? La méditation est-elle un outil utilisé dans les groupes ?
C’est une question qu’on s’est posée avant la COP21. On savait qu’il y aurait des rassemblements massifs, et on avait vu lors de la manifestation contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes à Nantes en février 2014 que la situation pouvait dégénérer en affrontements entre des activistes qui avaient choisi l’action violente et les forces de l’ordre. La violence à Sivens était allée jusqu’à faire un mort [Rémi Fraisse] parmi des militants pacifiques en octobre 2014. On redoutait que cette mécanique se renouvelle à l’occasion des mobilisations autour de la COP21. Il suffit qu’un petit nombre de personnes utilisent la violence pour que la dimension non violente de l’ensemble de l’action soit compromise. Nous avons lancé le mouvement ANV-COP21 pour organiser des actions non violentes pendant la COP21, mais surtout pour poser les bases d’un mouvement à la Martin Luther King. Un mouvement citoyen de masse, à la fois radical et populaire, non violent et déterminé, qu’on pourrait continuer de construire après la COP21. La première chose nécessaire était d’affirmer notre ligne stratégique 100 % non violente. En France, cela suscite beaucoup de réticences. On l’a vu à l’occasion des Nuits debout, où certains étaient pour la non-violence, et d’autres pour l’action violente. Une sorte de compromis est alors souvent appliqué : chacun fait comme il le souhaite. Sauf que si l’action violente n’est pas compromise par l’action non violente, l’inverse n’est pas vrai ! La deuxième chose importante, c’est que la non-violence demande de la formation. Dans une situation où l’on subit de la violence, il est spontané d’y répondre par la violence ; il faut donc se préparer. Cela demande aussi de définir précisément des critères d’action, car chacun a sa propre appréciation de ce qui est violent ou pas. ANV-COP21 définit ainsi un ensemble de critères qui permettent de situer quel type d’action va être mené, qui exclut notamment la violence physique, mais aussi la violence verbale, ainsi que les dégradations matérielles qui ne seraient pas décidées collectivement et assumées publiquement. ANV-COP21 ne prétend pas que c’est une définition universelle de la non-violence, mais une proposition de cadre pour mener une action de manière collective. Enfin, il faut s’être préparé à réagir au cas où, malgré tout, des personnes rejoindraient l’action dans l’objectif d’utiliser la violence, sans l’adhésion des organisateurs ni des autres participants. Si un tel cas se présentait, on tenterait d’abord de les dissuader d’intervenir par la discussion, en expliquant que le mouvement auquel elles participent a choisi la stratégie de l’action non-violente. Si des actions violentes ont néanmoins lieu, il s’agirait alors de s’en dissocier, en s’éloignant et en levant les mains en signe de non-violence. À ce stade, il faut éviter que sur les images l’action non violente puisse être confondue avec les actions violentes. En utilisant cette méthode, ANV-COP21 a impulsé trois jours d’actions non violentes pour perturber un sommet de pétroliers à Pau en avril 2016. Un millier de personnes ont participé à des actions très diversifiées, comme une chaîne humaine dans laquelle les enfants étaient les bienvenus, un die-in géant, un concert sauvage, ainsi que des actions directes d’interposition pour empêcher physiquement la tenue du sommet. Le résultat a été très étonnant, car on pouvait voir à la fois des centaines de personnes renversant des barrières de sécurité et débordant des lignes de police avec des boucliers en mousse, sans blesser personne, mais aussi, en pleine perturbation du sommet, des discussions entre les activistes et les policiers, et entre les activistes et les pétroliers. C’est un bon exemple de la capacité de l’action non violente à rassembler différents publics.
Dans le contexte d’urgence où nous sommes, ne serait-il pas plus efficace d’agréger davantage les mouvements disparates pour avoir plus de voix et d’impact dans les actions menées ?
Cela fait partie de nos préoccupations, tant à Alternatiba qu’à ANV-COP21 : comment faire en sorte que nos mouvements n’apportent pas encore un peu plus de division en s’ajoutant aux autres, comment être un élément complémentaire qui vienne poursuivre les actions déjà menées ? Ce sont des questions sur lesquelles on avance au fur et à mesure, en rencontrant les autres associations, en voyant avec elles quels types d’actions il est possible de mener ensemble. À l’origine, l’objectif d’Alternatiba était de rassembler tous les acteurs qui agissaient déjà dans chaque thème, de fédérer les mouvements. On est donc pleinement dans la coopération, dans la synergie. On se pose également ces questions pour ANV-COP21 : nous ne sommes pas les seuls à mener des actions non violentes, à nous préoccuper du climat, certes. Mais ce qui manque en France aujourd’hui, c’est la capacité de mener des actions non violentes de masse. Lorsqu’on a perturbé le sommet des pétroliers à Pau, on n’était pas des experts du forage en mer, il y a des associations qui connaissaient bien mieux le sujet que nous. Mais on a mis en œuvre un mouvement qui permettait d’organiser des actions de masse, on a fédéré les associations, chacune est venue expliquer les enjeux, les objectifs atteignables dans son propre domaine. Ce qui nous caractérise de manière générale, c’est d’être un dénominateur commun. Si on place le climat au cœur de notre mouvement, c’est parce qu’on a compris, en écoutant les discours scientifiques, que la question climatique est celle qui conditionne tous les autres enjeux – océans, forêts, biodiversité, paix, démocratie, justice sociale, etc. Toutes ces batailles ne seront pas les mêmes dans un monde à + 0,85 °C, + 2 °C ou à + 4 °C. C’est parce que nous sommes des militants pour la justice sociale et pour la démocratie que nous sommes des militants climatiques. Alternatiba et ANV-COP21 doivent être par nature des mouvements de symbiose, le climat étant ce qui rassemble et ce qui concerne tout le monde.
Parvenez-vous personnellement à vivre en cohérence avec les mouvements dans lesquels vous êtes engagé ?
J’essaie au maximum d’adopter les solutions proposées en matière d’alimentation, d’énergie, de consommation… Mais il me reste pas mal de contradictions. J’utilise beaucoup la voiture notamment. Au niveau de l’alimentation, c’est plus facile, j’ai plus de possibilités : je suis végétarien et je consomme majoritairement des produits locaux. La cohérence est une question essentielle, mais elle doit être appréhendée en fonction d’une autre question qu’il ne faut pas perdre de vue : l’objectif n’est pas uniquement de se changer soi-même, mais d’impulser des changements à l’échelle de la société. Ce sont deux choses différentes qu’il faut concilier au mieux. Toute lutte a un coût écologique. Alternatiba a nécessité qu’on imprime énormément d’affiches pour nous faire connaître. Ça peut sembler contradictoire de couper des arbres pour faire du papier et coller des affiches partout qui termineront en déchets. Mais si on essaie d’avoir une empreinte écologique nulle, on n’aura plus les moyens de batailler. Pour montrer l’exemple, il ne faut pas seulement être exemplaire, il faut être visible, il faut être compris, il faut donc organiser des actions, des mobilisations, qui ont une empreinte écologique. Ne tombons pas dans le piège de ceux qui pointent un détail pour remettre en cause la pertinence de toute une démarche. Les écologistes vivent dans le même monde que les autres, un monde plein de contradictions où on n’a pas encore les moyens de vivre complètement ce que l’on prône. Ce qui est important, c’est d’être dans une démarche de changement. Et, dès lors qu’on est dans une dynamique collective, nos efforts de changement deviennent très épanouissants, motivants, et cela donne envie de continuer à changer dans d’autres domaines !
Propos recueillis par Pascal Greboval
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