«Je suis de la génération de l’urgence. Je n’ai pas choisi mon combat. Il s’est imposé.»

«Je suis de la génération de l’urgence. Je n’ai pas choisi mon combat. Il s’est imposé.»
9 décembre 2018 - Sarah Roubato 

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Ces temps-ci, la colère sort. Et c'est tant mieux. "Quand on n'est pas en colère, c'est qu'on est tout seul", disait Jacques Brel.


Mais à l’heure de l’urgence, nous n’avons plus le temps de seulement nous défouler. Reste à faire de cette colère un engrais pour construire — et même, pour exiger — un autre modèle de société. Qu’elle ne soit pas seulement un geste qui soulage ou un cri de détresse. Mais un outil efficace. Tout l’enjeu est là : ce poing qui cogne et qu’on brandit, l’ouvrir, et y blottir bien au chaud des graines à semer, à arroser, à protéger. Celles d’une autre société. Pas seulement le temps d’une marche, d’un joyeux moment ensemble, d’un geste symbolique, mais chaque jour. Rentrer chez soi, regarder autour,  et se demander si ce slogan est un engagement du quotidien.

Je ne me contenterai pas de « faire ma part », mais je m’épuiserai pour que, à chaque échelle de la société – locale, régionale, nationale, européenne, mondiale – cela change… J’irai voir mes voisins, les parents des amis de mes enfants, mes collègues, et, pas à pas, sans donner des leçons, je proposerai, je laisserai entrevoir d’autres possibles.

Je parlerai de ceux qui n’ont pas eu le temps de colorier des pancartes parce qu’ils oeuvrent, chaque jour, au changement, les mains dans le cambouis du quotidien. Je troquerai le « Oui mais pour eux c’est facile… » en : « Tiens, comment ont-ils fait ? «  J’irai gratter la carte postale de l’alternatif, et j’irai les rencontrer, ces gens qui font autrement dans l’éducation, l’agriculture, l’habitat, l’économie, le politique.

Ce ne sont pas des bobos parisiens, ce ne sont pas des hippies dans un écovillage isolé, ce ne sont pas des privilégiés, ce ne sont pas des gens qui peuvent se permettre de l’envisager. Ils sont partout autour de moi, et on serait surpris de découvrir que la plupart n’est pas riche, a des enfants en bas âge, prend des risques, doute, essaye, se plante, et recommence.

Je ne resterai pas dans un entre-soi, confortable et plaisant. J’ai bien l’impression que de plus en plus de gens s’y mettent, dès que je m’abonne aux groupes facebook de presse alternative. D’un coup le monde change, je ne vois que du positif partout. Et les 300 clients journaliers d’un magasins bio ne voient plus les 3 000 qui sortent tous les jours du supermarché d’en face.

Je développerai des outils concrets. L’information est là, les discours aussi. Les experts sont invités sur les plateaux télé, les livres et les articles sortent, les appels et les pétitions pleuvent. Nous savons. Nous alertons.

Mais pour ceux qui expliquent et qui commentent, combien cherchent à développer des outils concrets face aux enjeux moins brillants du quotidien ? Comment permettre à mon voisin de se dégager deux heures chaque semaine pour préparer en avance des repas sains pour son enfant et les congeler ?  En lui permettant deux matins par semaine de ne pas avoir à l’emmener à l’école, en organisant du covoiturage alterné ? Alors il économisera sur les frais de cantine, alors il pourra acheter…

Je ne parlerai que pour construire. Nous dépensons beaucoup d’énergie en commentaires sur les réseaux sociaux pour expliquer aux autres qu’ils n’ont rien compris. Beaucoup de débats se résument à des duels d’opinion. Ceux qui se risquent à suggérer d’autres façons de faire sont vite qualifiés de donneurs de leçon. Et si je me mordais les lèvres (ou les doigts) et que je décidais de ne parler que dans le but de construire une intelligence commune ? J’oserai donner un coup de talon à ce qui en moi trépigne de faire comprendre à l’autre qu’il n’a rien compris.

Je serai fin stratège, je servirai la cause plutôt que ma satisfaction personnelle. Je ravalerai l’envie d’avoir raison tout de suite et j’irai écouter la difficulté de l’autre, ses frustrations, ses certitudes, ses idées reçues. Je lui ferai comprendre que je le comprends. Et je le surprendrai en parlant son langage et en l’amenant à envisager autre chose. J’aurai la détermination ferme et l’écoute généreuse.

J’aurai le courage de ceux qui n’ont plus le choix. Je ne laisserai plus rien passer. Aucun petit geste, que ce soit le mien ou celui d’un passant, qui participe à la destruction du vivant, donc à la mienne. Aucun renoncement pour ne pas s’embarrasser de chercher autrement. Aucun déni pour remettre à plus tard l’urgence. J’essaierai jusqu’à épuisement. J’échouerai souvent. Je pèserai mon impuissance. Et je recommencerai. Je suis de la génération de l’urgence. Je n’ai pas choisi mon combat. Il s’est imposé. Nous n’avons plus le temps de nous contenter du petit geste ni de la colère qui soulage. Le temps n’est plus aux querelles de cour de récré. Car ni les insectes qui ne polliniseront plus, ni les glaciers fondus qui libèreront le méthane, ni les forêts qui brûleront, ni les digues qui cèderont, ni les millions de réfugiés qui traverseront les mers, ne nous diront qui avait raison.

Image à la une : Didier Bizet / Hans Lucas / Afp

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