Apprendre par soi-même, avec les autres, dans le monde

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Quand on entend parler d’instruction en famille, on pense souvent « école à la maison ». En réalité, il existe autant de façons de vivre l’instruction en famille que de familles. Certaines familles suivent le programme scolaire, d’autres appliquent des pédagogies alternatives. D’autres encore font le choix de ne définir aucune trame, de ne suivre aucun programme, de n’appliquer aucune pédagogie particulière : elles pratiquent le unschooling. Mélissa Plavis nous en parle dans un ouvrage très intéressant, premier livre français sur le sujet.

Pour reprendre la définition de Mélissa Plavis, « le unschooling apparaît comme une modalité d’instruction hors école qui privilégie les apprentissages autogérés et présuppose que les apprentissages informels ont une place importante dans l’instruction et l’éducation (p. 151) ». Les apprentissages informels sont « implicites et insaisissables », souvent « non-conscients et non-intentionnels », ne sont « ni structurés ni organisés et se font dans la vie quotidienne ou dans n’importe quelle activité mise en place par habitude, par intérêt ou par nécessité ».
C’est un choix qui ne va pas de soi. Lâcher prise, faire confiance à son enfant et à ses apprentissages n’est pas chose aisée. Dans une société où les apprentissages sont organisés, minutés, évalués, jugés, il n’est pas simple d’accepter de laisser son enfant apprendre à son rythme. Et assez rares sont, d’ailleurs, les parents qui ont commencé d’emblée par le unschooling. Comme le montrent les nombreux témoignages de parents qui étayent et enrichissent Apprendre par soi-même, avec les autres, dans le monde, le unschooling est souvent le résultat d’un cheminement, d’une observation de l’enfant, de ses capacités à apprendre seul, de son enthousiasme naturel. Parfois, c’est un lâcher-prise, presque un abandon quand on tenait à faire suivre un programme à un enfant et que celui-ci oppose une résistance farouche. C’est, dans tous les cas, une véritable déscolarisation du parent et pas seulement de l’enfant (si ce dernier a connu l’école). La déscolarisation est un « déformatage, un changement de paradigme de pensée et de vivre (p. 30) ». Choisir le unschooling, c’est s’adapter, constamment, aux besoins de chacun. Un mode de fonctionnement peut convenir à un moment et pas à un autre. Le unschooling n’est pas figé : c’est pourquoi il est source d’une grande liberté pour chaque membre de la famille. La seule règle est de n’imposer aucun enseignement. Il est même possible, contrairement à une idée largement répandue, de suivre un enseignement formel lorsque c’est souhaité par l’apprenant. Mélissa Plavis cite à plusieurs reprises une phrase de Jacques Rancière qui affirme que « l’instruction ne se donne pas, elle se prend2 », rendant hommage à Joseph Jacotot qui, d’après son expérience de l’enseignement, concluait que « l’instruction est comme la liberté : cela ne se donne pas, cela se prend ». Ce qui résume très bien le principe de base du unschooling.

Déconstruction des clichés

S’appuyant sur de nombreux ouvrages et témoignages, l’auteure s’applique à déconstruire les clichés qui collent au unschooling. Questionnant la notion de pédagogie, elle remet en cause le rapport de domination présent dans les relations enseignant-enseigné et parent-enfant. Le unschooling s’appuie sur une relation horizontale et non verticale. Il s’agit pour les parents de « mettre de côté le pouvoir qu’ils ont sur leurs enfants tout en se réappropriant leur propre pouvoir d’agir (p. 49) ».
Elle réfute aussi l’idée qu’il faut venir d’un milieu aisé et diplômé pour pratiquer le unschooling. Le unschooling est accessible à tous dès qu’on le souhaite (même s’il implique généralement de changer son mode de vie). Ce n’est pas parce qu’un parent n’est pas compétent dans un domaine que l’enfant ne le sera pas : l’enfant peut apprendre seul, à l’aide de supports, il apprend par immersion dans un milieu, par l’expérience, grâce à ses rencontres. Les parents ne sont pas les seuls facteurs de transmission : l’enfant évolue dans le monde. Il apprend seul mais avec les autres (les enfants non-sco ont souvent un large réseau social). Et les parents peuvent toujours, s’ils le souhaitent, apprendre avec leur enfant.
Autre inquiétude : mais comment apprennent-ils à lire, écrire, compter ? Mélissa Plavis montre que les expériences sont multiples. Certains enfants apprennent très tôt, d’autres tard, mais ce qui est certain, c’est que tous apprennent à lire, écrire et compter un jour ou l’autre. L’envie ou la nécessité sont les moteurs des apprentissages : ce qui paraît indispensable à l’école peut sembler inutile pour un unschooler. « Qui décide ce qu’on doit savoir et ne doit pas savoir ? Et ce, sur quel critère ? Ne devons-nous pas apprendre, ou simplement n’apprenons-nous pas, ce qui nous est nécessaire quand cela l’est ? (p. 93) »
Enfin, l’auteure aborde l’« épouvantail idéologique » qui veut que l’IEF3 soit un nouvel asservissement de la femme, confinée dans son foyer alors que la société d’aujourd’hui voudrait qu’elle mette ses enfants à l’école pour aller travailler. Se conformer à l’idéal masculin pour « se libérer » est un leurre, et vivre en femme libre signifie faire des choix en accord avec ce qu’on aspire à être et à devenir. « Recréer » les règles, et non se conformer à celles d’une société menée par les hommes, permet de sortir d’une société basée sur la domination et l’oppression. « Si les femmes […] se retrouvent à ne pas travailler au sens patriarcal du terme et si, en plus et surtout, elles ne le souhaitent pas et sont satisfaites de cette situation, alors ne pas trouver d’employeur n’est pas une manière de rester opprimée, mais devient une manière de reconstruire un modèle de vie durable et solidaire (p. 110) ». Sortir du système capitaliste, travailler en indépendante, bénévolement, travailler pour soi, pour sa famille, son foyer, par choix, relève de l’écoféminisme : « […] il s’agit pour les femmes d’envisager leurs modes de vie comme des modèles possibles pour le monde vers une perspective de subsistance et non une perspective de production (p. 109) ».

« Une micropolitique citoyenne, écologique et sociale »

Le unschooling serait donc cohérent avec l’écoféminisme. Sortir d’un schéma d’oppression et de domination participe, selon Mélissa Plavis, « à la construction d’un nouveau paradigme écologique » qui valorise de « nouveaux modes de vie soutenables » et « participe à faciliter l’émancipation des enfants par eux-mêmes (p. 113) ». Agathe résume son choix du unschooling ainsi : « J’ai fait le choix du unschooling pour mes enfants, et par là j’ai fait le choix de les élever vers une société égalitaire, équitable et respectueuse, respectant nos besoins, nos envies et offrant à chacun-e la place qu’il mérite : celle dont il rêve (p. 106) ». Le unschooling n’est donc pas un simple choix pédagogique : c’est un véritable engagement politique.
Parce qu’il s’agit de réapprendre à vivre ensemble, en famille mais aussi au sein du monde, et parce que les unschoolers considèrent que tout est apprentissage et que les occasions d’apprendre sont partout, le unschooling est écologique, puisqu’il suit les mêmes principes que la permaculture : évoluer en harmonie avec son milieu, naturellement, sans entraves, chaque élément profitant des bienfaits de ceux qui l’entourent. Le unschooling, c’est « prendre soin ». De soi, des autres, de son environnement. C’est vivre ses propres choix, sans chercher à dominer l’autre ou son environnement. Il implique donc un véritable travail sur soi puisqu’il nécessite que l’on se réapproprie son pouvoir d’agir en abandonnant l’idée d’exercer un quelconque pouvoir sur les autres. Une utopie ? Peut-être, mais « une utopie concrète, […] vivant au sein de la société, en son cœur (p. 49) ».



1  Sauf mention contraire, toutes les citations dans cet article sont issues du livre Apprendre par soi-même, avec les autres, dans le monde, Mélissa Plavis, éditions Le Hêtre Myriadis (2017).
2 Le Maître ignorant, Jacques Rancière, Éditions 10×18 (2004).
3 Instruction en famille.

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