À se demander si confinés, on n’est pas moins seuls qu’avant

Source : https://mrmondialisation.org/lettre-aux-futurs-deconfines



11 mai… non pas le 11 mai… un peu le 11 mai… Tout le monde retient son souffle en attendant le feu vert alors que la crainte d’une seconde vague flotte dans l’air. Aller chez le coiffeur, chez le libraire, s’acheter des fringues d’été pour célébrer ça. Inviter des amis à la maison – pas plus de dix – ou fuir la maison, marcher longtemps et se retrouver seul enfin !

On en « sortira » tous épuisés d’une overdose de solitude, ou d’une overdose de présence. On découvre à quel point on a besoin d’espaces de respiration et de solitude. S’entendre penser ! Les parents, les enfants et même les conjoints, c’est bon à petite dose. À moins que ça ne soit parce qu’à force de se croiser entre deux urgences, de subir les interrogatoires des parents, les réponses monosyllabiques des ados ou le déversement du conjoint de ses frustrations de la journée, on ne sait plus vraiment vivre ensemble.

« On a été seuls en même temps » : La minute de vérité

On découvre aussi à quel point on ne sait plus se retrouver face à soi-même. Parce qu’alors surgit tout ce qui nous manque, ce qui nous frustre, ce qu’on a manqué, ce qu’on a laissé de côté. Tout ce qu’on écrase chaque matin et chaque soir sous le bruit de nos talons pressés. Quand on a fini de télétravailler, quand on s’est épuisé d’écrans, quand on n’a personne avec qui jouer, quand regarder par la fenêtre nous déprime, on ne peut plus y échapper. Les doutes, les envies, les souvenirs, tout remonte ; ce qu’on aimerait pouvoir dire et qu’on n’ose pas, ce qu’on aurait voulu faire, ce qu’on aimerait recommencer. Voilà pourquoi dans la vie normale, on remplit de sons, d’images, de messages, de publicités. On remplit le temps du trajet, on remplit les sacs, on remplit les verres… remplir, remplir, remplir !

Pour d’autres, le confinement n’aura pas été un enfer. Car, pour certains, la solitude est un sanctuaire, un territoire qu’ils préservent jalousement. Ceux-là ont assez de quoi s’occuper pour trois vies. Ils ont l’habitude d’observer les balcons des voisins, d’écouter les oiseaux, ils construisent, ils font pousser, ils lisent, ils produisent des sons, des couleurs, des formes. Tout ce que l’humain est capable de faire quand il développe ses sens pour entrer en contact avec le monde. Ils développent une acuité à l’observation telle qu’en fait, ils sont complètement dans le monde. Car être seul n’est pas être isolé. La solitude peut être une ouverture quand elle est habitée. Elle peut être une plongée en profondeur. Se donner le temps de s’écouter et d’être présent au monde, donc aux autres. Aller au-devant des autres pour se fuir, c’est devenir le rouage de la machine qui nous rend toujours plus dépendants, et qui fait que pour beaucoup, quelques semaines à rester chez soi mène à des défaillances psychologiques.

Je me demande si cette nouvelle vie que nous allons mener n’est pas l’occasion de retrouver un équilibre entre la solitude et la compagnie, entre le plein et le vide. Retrouver la solitude nécessaire à notre santé. Pas celle qui fait fuir l’ado dans sa chambre ou dans ses écouteurs parce que ses parents le saoulent. Pas celle qui nous fait nous rapprocher le plus possible du bord du lit conjugal ou nous affale devant la télé sans répondre à l’autre. Pas celle des passagers du métro qui cherchent un endroit où ne pas croiser le regard des autres. Pas celle de vider les verres et augmenter le volume. Au milieu des autres, on peut être farouchement seuls. Et confinés, on peut être plus que jamais en lien.

« Vous sortir de votre immonde solitude » Monsieur Vincent

Voilà que les voisins ne sont plus des étrangers. Voilà qu’on s’intéresse au monde d’après. Voilà qu’on ne regarde plus pareil la caissière du supermarché, ceux qui nettoient la ville, ceux qui nous apportent le courrier, qui transportent nos marchandises. Et bien sûr ceux qui nous soignent. La dernière fois qu’on avait vu cette attention aux autres, c’était au lendemain des attentats de Charlie. À se demander si confinés, on n’est pas moins seuls qu’avant. Si ce qui est à craindre ce n’est pas le confinement mais l’isolement, cette indifférence que nous pratiquons chaque jour. Ce repli qui n’est pas une introspection mais juste une barricade… un confinement ambulant. Dans le film de ____ Monsieur Vincent, racontant la vie de Vincent de Paul, le prêtre amène un enfant trouvé à des femmes, riches bénéficiaires et pauvres, qui refusent toutes de le secourir, et baissent les yeux. Monsieur Vincent regarde ces visages baissés et dit : « Oh je vous en prie, ne me laissez pas tout seul. Faites-moi au moins l’aumône d’un regard (…) Jamais je ne vous sortirai de votre immonde solitude. » Et il prend l’enfant et quitte la pièce. Cette scène raconte comment ceux qui croient faire partie de la majorité sont peut-être en fait les plus isolés. On se coupe les uns des autres, pensant pourtant être en plein dans la foule. Aujourd’hui, forcés d’écouter le bruit du monde qui s’arrête, on se soucie de l’avenir. Pas seulement pour soi, mais pour toute la société. On se rend compte qu’on n’existe pas tout seul dans sa petite bulle en laissant le monde autour tourner comme si rien ne pouvait l’arrêter. C’est de ce confinement-là qu’il faut sortir. Et c’est peut-être notre seule chance.

Ces prochaines semaines, on devra faire attention. Pas seulement aux symptômes du covid-19, mais aux symptômes d’un autre virus, qui celui-là est plus difficile à déceler tellement on en a fait une norme. Alors qu’on va goûter comme jamais le plaisir d’être dans la rue, d’aller dans un magasin avec un être humain pour nous servir, est-ce que ce sera un feu de paille ? Veillons à ce que la sortie du confinement physique ne soit pas un retour au confinement psychologique et social.

Sarah Roubato

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