Accueillir les Non-Humains dans les Communs

Source : https://scinfolex.com/2019/01/04/accueillir-les-non-humains-dans-les-communs-introduction/

Publié le 4 janvier 2019 sur le blog de Aka Lionel Maurel. Juriste & bibliothécaire

 

Ce billet est le premier d’une série de cinq ou six que je publierai au rythme d’un par semaine au cours de ce mois de janvier. Le texte complet formera un essai à propos des relations entre les Communs et les Non-Humains, un sujet à mon sens absolument essentiel à prendre en compte pour la théorie des Communs.

 

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Extraits

Arturo Escobar dans son ouvrage "Sentir-Penser avec la Terre" : 

La séparation entre nature et culture […] est à la base de l’ontologie moderniste-occidentale qui s’est imposée dans le monde entier par la coercition ou l’hégémonie culturelle. Cette pensée dualiste qui sépare corps et esprit, émotion et raison, sauvage et civilisé, nature et culture, profane et spécialiste, indigène et savant, humain et non-humain en les hiérarchisant, nous empêche de nous concevoir comme faisant partie du monde, nous incitant plutôt à nous vivre dans un rapport d’extériorité instrumentale à ce qui nous entoure. 


Là où la notion de ressource induit nécessairement une coupure entre humains et non-humains, d’autres formes de représentation sont possibles à condition de s’ancrer dans une ontologie, non plus dualiste, mais « relationnelle ». Selon Arturo Escobar, l’apport majeur de l’ontologie relationnelle consiste à envisager « toutes les choses du monde [comme] faites d’entités qui ne préexistent pas aux relations qui les constituent".

 

 le « principe de symétrie » issu de la théorie de l’acteur-réseau, résumé ainsi par Philippe Descola :

[…] l’idée de symétrie, c’est-à-dire […] l’exigence qui consiste à introduire les non-humains sur la scène de la vie sociale autrement que comme des ressources ou un entourage extérieur. Faire de l’anthropologie symétrique, de ce point de vue, cela ne signifie pas expliquer la vie des humains par l’influence des non-humains, mais rendre compte de la composition d’un monde où les uns comme les autres prennent part en tant qu’acteurs – actants dirait Latour – avec leurs propriétés et leurs modes d’action, et constituent donc des objets d’intérêt égal pour les sciences sociales


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Plan général

0) Introduction

  • Les Communs questionnés par l’émergence des « droits de la nature »
  • La théorie des Communs traversée par une « rupture ontique » entre Humains et Non-Humains.
  • Reformuler la théorie des Communs en fonction d’une ontologie relationnelle ?
  • Quatre étapes pour « symétriser » les éléments de la théorie des Communs.

1) Abandonner les « ressources » pour ancrer les Communs dans une « communauté biotique »

  • La place des ressources dans les modélisations initiales d’Elinor Ostrom.
  • Un mécanisme de « purification », amplifié par la vulgate des Communs.
  • Des collectifs d’hybrides à la « communauté biotique ».

Extraits 

Certaines analyses des Communs tendent ainsi à mettre l’accent sur les types de ressources et/ou leur régime de propriété, tandis que d’autres insistent davantage sur la dynamique collective des communautés et la dimension de « l’agir commun »

 

Le cheminement se prolonge aujourd’hui de manière plus intéressante avec des analyses cherchant à penser des « Communs négatifs », c’est-à-dire des objets qui ne peuvent plus justement être pensés comme des « ressources » possédant une « utilité » pour les humains. C’est le cas par exemple pour Alexandre Monnin et Diego Landivar, qui prennent l’exemple des centrales nucléaires désaffectées, dont la nocivité radicale interdit de les considérer comme des « ressources », mais qui nécessiteraient pourtant à leurs yeux une prise en charge collective sous la forme de Communs[32]. Les Communs cessent alors de se limiter aux « choses que tout le monde veut s’approprier » pour s’étendre aux « choses dont personne ne veut, mais qui revêtent une importance cruciale pour le Monde ». On trouve également d’autres analyses où les « Communs négatifs » désignent l’action collective de communautés s’organisant pour faire en sorte que des éléments non-humains – pourtant potentiellement « utiles » ou du moins « utilisables » – cessent d’être employés comme des ressources. On passe alors de communautés d’usage à des « communautés de non-usage », qu’il s’agisse par exemple du mouvement Zéro Déchet critiquant les politiques de recyclage ou du véganisme refusant toute forme d’exploitation animale

 

la conception andine est bien plus vaste. Elle englobe en effet les personnes, mais aussi les êtres vivants non humains, tels que les animaux ou les plantes, ainsi que certains éléments non vivants, en particulier les monts et montagnes ou encore les esprits des défunts.

 

Dans son célèbre essai « Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ? », le juriste américain Christopher Stone estimait dès 1972 que des entités comme les forêts devaient se voir reconnaître une capacité d’action en justice par voie de représentation de leurs intérêts par des médiateurs humains

 

 Aldo Leopold - « Almanach d’un comté des sables »

[…] La montagne qu’il faut déplacer pour libérer le processus vers une éthique, c’est tout simplement ceci : cessez de penser au bon usage de la terre comme à un problème exclusivement économique. Examinez chaque question en termes de ce qui est éthiquement et esthétiquement juste autant qu’en termes de ce qui est économiquement avantageux. Une chose est juste lorsqu’elle tend à préserver l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique. Elle est injuste lorsqu’elle tend à l’inverse.

2) En-deçà des arrangements institutionnels, les « agencements socio-écologiques ».

  • Le tournant inachevé de l’approche par les systèmes socio-écologiques.
  • Pour une hybridation avec la théorie de l’acteur-réseau.
  • S’emparer des « Communs latents » d’Anna Tsing.

Extraits

Elinor Ostrom - allocution prononcée à l’UNESCO en 2010 et consacré aux Systèmes Socio-Ecologiques

Nous devons constater que nous rencontrons des problèmes car nous avons des frontières disciplinaires dans notre manière d’étudier les systèmes socio-écologiques. Ils sont plus résilients que ce à quoi nous nous attendions, mais nous ne pouvons l’expliquer… Or, nous avons des connaissances en sociologie, en anthropologie et dans d’autres domaines. Ces apports disciplinaires sont nécessaires bien sûr, mais nous avons besoin d’utiliser notre connaissance pour traiter de problèmes politiques. Pour l’avenir, il est donc crucial de développer des approches analytiques qui mobilisent des connaissances disciplinaires tout en favorisant l’intégration de la compréhension interdisciplinaire, car nous devons éviter les « tours de Babel » académiques où chacun comprend ceux qui vivent dans la même tour, mais où on ne se comprend pas entre « tours » (de Babel). 

 les fameux « eight design principles » conditionnant « la durabilité de la gestion d’un système socio-écologique élargi » restent en définitive focalisés sur les éléments humains :

    Des limites clairement définies concernant les acteurs et les ressources ;
    Une structure de règles montrant une congruence entre bénéfices et coûts d’une part et d’autre part les conditions locales ;
    Des acteurs disposant de procédures pour établir/élaborer leurs propres règles, soit un dispositif de choix collectif ;
    Une surveillance et un contrôle régulier des acteurs et de l’état de la ressource ;
    Des sanctions progressives/graduelles ;
    Des mécanismes de résolution des conflits ;
    Des droits d’organisation reconnus par le gouvernement et l’environnement externe, pour une prise en compte minimale ;
    Une gestion se faisant par un système imbriqué/emboîté d’organisations.
Chez Latour et Callon l’action constitue aussi la question centrale :

Le social est appréhendé comme étant un effet causé par les interactions successives d’actants hétérogènes, c’est-à-dire de l’acteur-réseau. Tout acteur est un réseau et inversement. L’action d’une entité du réseau entraîne la modification de ce dernier ; toute action impliquant l’ensemble du réseau a une incidence sur les composantes du réseau.

 

Tsing souligne également qu’au sein des Communs latents, « les humains ne détiennent jamais pleinement le contrôle », conséquence logique si l’on arrête de considérer les éléments non-humains comme un « arrière-fond » inerte pour reconnaître pleinement leur qualité d’acteurs. Dès lors, prévient Anna Tsing, les Communs latents forment toujours un « jeu confus » placé sous le signe de « l’effervescence », de « l’imperfection », sans cesse à recommencer sans jamais pouvoir s’arrêter sur une forme fixe.

 

Bresnihan estime que les Communs doivent être reconsidérés comme des « processus de négociations collectives de limites et de capacités » dans lesquels sont également engagés des acteurs non-humains.

 

Cette « subjectivité enchevêtrée » [au sens de « prise dans des liens »] est incompréhensible pour un cadre épistémologique libéral qui commence par postuler un sujet (humain) calculateur, « économiste » vivant dans un monde remplis de tels sujets calculateurs isolés les uns des autres et de ressources (non-humaines) séparables et mesurables. Comprendre cette subjectivité enchevêtrée suggère de ne pas appréhender le Commun comme une « chose » à laquelle nous aurions accès en vertu d’un titre de propriété ou d’une autorisation, ni simplement comme un ensemble d’institutions destinées à partager des « ressources » communes.

Philippe Descola résume ainsi cette orientation de la Philosophie des Lumières et des sciences sociales qui en sont les héritières :

La philosophie des Lumières et les sciences sociales sont nées d’un travail d’épuration qui a consisté à exclure les non-humains de la vie commune pour en abstraire la “société”, à savoir l’assemblée des humains produisant les conventions qui les régissent et inventant les concepts appropriés pour ce faire.

 De son côté, Patrick Bresnihan appelle à un dépassement de cette vision de la « gouvernementalité » par une mise à distance de l’approche institutionnaliste. La notion de « Communs plus qu’humains » qu’il propose s’inscrit ainsi dans la même ligne que les « Communs latents » d’Anna Tsing :

Dans le contexte des « Communs-Plus qu’humains », le partage n’est donc pas un but à atteindre ou à « instituer », mais la conséquence concrète de dépendances partielles et de chevauchements, une réalité matériellement et socialement constituée à travers laquelle des Humains et des Non-humains particuliers sont liés, qu’ils le souhaitent ou non

 

3) Redéployer le faisceau de droits en l’ouvrant aux droits bioculturels.

  • Apports et limites de l’approche par les faisceaux de droits (Bundle of Rights).
  • Pour une refondation symétrique du droit de propriété
  • Étendre le lien entre Communs et droits fondamentaux en direction des droits bioculturels.

4) A la recherche de formes institutionnelles compatibles avec l’ontologie relationnelle.

  • Personnification des Non-Humains ou institution d’un principe d’inséparabilité ?
  • Du « Parlement des choses » aux Assemblées des Communs
  • Quelles perspectives d’implantation dans nos systèmes juridiques ?
  • Conclusion : le rôle des communs symétriques à l’heure du Capitalocène


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