Communication non-violente : comment pratiquer la CNV

 Source : https://www.horsnormeetaccomplis.fr/communication-non-violente-pratiquer-cnv/

Quelques balises intéressantes par rapport à la pratiques de la CNV. 

Mais quand il dit : "La CNV n’est pas une panacée", il parle de la CNV-outil.
Et, à mon sens, l'article échappe alors formellement à l'essence de la CNV, qui est plus qu'un outil, mais plutôt 

  1. une spiritualité (= une vision du sens et de l'essence de la vie),
  2. une vision des humaines,
  3. une vision de la relation à soi et aux autres,
  4. une pratique (une discipline au sens des écoles spirituelles).

Ce qui n'en fait pas une panacée non plus, mais comme une spiritualité ne se veut pas une panacée... (ce qu'on peut attribuer à un outil).

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Lorsque j’ai découvert les séminaires de Marshall Rosenberg, le concepteur de la communication non-violente (CNV), j’ai été séduit par la simplicité et l’intelligence de son approche. Cependant, ce qui semble simple en théorie ne l’est pas pour autant en pratique et malgré la quantité de matériel disponible sur internet j’observe des méprises récurrentes sur la communication non-violente. Certaines personnes se méprennent sur la manière de l’appliquer tandis que d’autres y voient une panacée. Petit précis à l’usage des personnes ayant envie d’essayer cet outil passionnant.

1/ Besoins et stratégies

L’idée de base de la communication non-violente est simple : nous avons tous des besoins. Nous cherchons à les satisfaire, parfois de manière détournée comme c’est le cas dans les transactions cachées de l’analyse transactionnelle. Mais attention : sous l’angle de la communication non-violente, manger n’est pas un besoin, manger est une stratégie. Le besoin est abstrait, la stratégie est concrète, et c’est ce qui permet de satisfaire un même besoin de plusieurs manières. Aucune connotation péjorative dans le mot stratégie tel que l’employait Rosenberg : si une personne a besoin de (se sentir en) sécurité, elle peut choisir la stratégie « étudier les arts martiaux » ou la stratégie « carrière bien rémunérée ». Deux stratégies différentes visant à nourrir un même besoin.

Notez les échelles de temps : choisir un métier rémunérateur ou étudier les arts martiaux sont des stratégies à long terme, prendre un taxi plutôt que le métro au retour d’un repas chez des amis est une stratégie à court terme. Dans les deux cas, la sécurité est le besoin que nous essayons de nourrir, mais rien ne prouve qu’au prochain dîner vous choisirez à nouveau le taxi. Notez également que vous pourriez choisir le taxi pour gagner du temps ou pour vous économiser. La stratégie « taxi » peut nourrir différents besoins : rapidité, sécurité, repos, etc.

2/ La communication non-violente, comment ça marche ?

À des fins pédagogiques je distingue deux grandes manières d’utiliser la CNV : l’approche réactive et l’approche proactive. En effet, la communication non-violente ne propose pas juste une analyse des comportements en termes de besoin et de stratégie. Elle propose un mode opératoire pour communiquer. Ce mode opératoire peut s’appliquer de façon préventive (ou proactive) si vous craignez de heurter votre interlocuteur, et de façon réactive pour désescalader une situation conflictuelle.
 
Communication non-violente, version proactive :

« J’ai un besoin (X) et te propose la stratégie (Y) pour le satisfaire. » Ou encore : « Adopter la stratégie (Y) me paraît un bon moyen de nourrir mon besoin (X), qu’en penses-tu ? »

L’intérêt d’une telle approche est double. D’abord, on ne se crispe pas sur la stratégie puisqu’elle découle du besoin. La personne avec qui nous échangeons peut donc proposer une alternative en cas de désaccord, puisqu’un besoin peut être satisfait de nombreuses façons. Si pour satisfaire votre besoin de tranquillité vous proposez à votre partenaire de rester à la maison et de jouer à des jeux vidéos, votre partenaire peut entendre votre besoin mais vous proposer une balade en forêt : a priori c’est une activité calme et reposante qui pourrait satisfaire votre besoin de tranquillité et sa propre envie, envie qui peut elle-même découler d’un ou plusieurs besoins : santé, détente, activité, nature, aventure, etc.

Ensuite, contrairement à la stratégie, le besoin est difficilement contestable. Que vous ayez besoin d’amour, de tendresse, de puissance, de sécurité, de joie, d’authenticité, d’émotion, d’action, etc. il serait extrêmement difficile – mais pas impossible – à vos interlocuteurs de répondre « non, tu n’as pas le droit d’avoir ce besoin ». C’est la grande astuce de la CNV : les besoins, à défaut d’être toujours réciproques, sont faciles à comprendre et difficile à contester. L’empathie que génère l’expression d’un besoin encourage votre interlocuteur à proposer une stratégie alternative ainsi qu’à formuler ses propres besoins. Et si quelqu’un vous répond “je me contrefiche de ton besoin d’amour”, est-ce bien utile de continuer à le fréquenter ?
 
Communication non-violente, version réactive :

Étudions maintenant le cas où un conflit est déjà en cours. Peut-être votre interlocuteur vous a-t-il dit quelque chose que vous jugez blessant. « Jugez » car c’est très probablement de jugement dont il est question. En effet, un même comportement peut être interprété de manières différentes voire opposées. Il y a bien sûr des comportements moins équivoques que d’autres. Un viol ou un braquage offrent moins de latitude à l’interprétation. Une personne qui brandit un couteau en vous demandant votre argent souhaite indéniablement générer en vous certaines émotions pour obtenir cet argent. La plupart des situations peuvent néanmoins être vécues de manières diverses.

Si vous avez visionné les séminaires de Rosenberg vous avez peut-être en tête cette personne qui se plaint d’être « ignorée » et la réponse malicieuse de Rosenberg : « il y a plein de gens qui seraient ravis que vous les ignoriez » [par exemple tous ceux qui ne vous apprécient pas]. En effet, ignorer quelqu’un n’est pas en soi quelque chose de mauvais ou de dysfonctionnel. En matière de self-defense vous apprendrez par exemple à ne pas relever certaines provocations qui sont autant de pièges tendus par des individus désireux de trouver une opposition à qui se mesurer. Dans d’autres situations il vous faudra au contraire montrer que vous n’êtes pas un enfant de coeur pour dissuader les prédateurs de se lancer dans une action hétéro-agressive. 

Si vous partenaire amoureux cesse de répondre à vos SMS, vous en souffrirez. Si un collègue trop bavard ne vient pas vous dire bonjour aujourd’hui, vous serez sans doute ravi de vous épargner un interminable badinage. Dans les deux cas, la personne semble vous ignorer, mais votre ressenti face à cette ignorance est aux antipodes.

Prendre nos responsabilités

Gardons l’exemple du partenaire devenu silencieux. Il peut s’agir d’une mesquine vengeance, mais ce n’est pas la seule possibilité. Cette personne est peut-être embarrassée par quelque chose. Peut-être a-t-elle peur de vous blesser, peut-être cherche-t-elle la meilleure manière de rompre avec vous ou d’aborder un élément de votre relation qui lui pose problème. Cela ne veut pas dire que votre souffrance n’est pas légitime – vous souhaitez avoir des nouvelles de cette personne – mais elle n’est peut-être pas le but recherché par votre interlocuteur. Marshall Rosenberg insistait régulièrement sur l’importance de revenir à ce qui est factuel. « Il ne répond pas » est un constat factuel. « Il m’ignore » est déjà beaucoup plus subjectif.

La CNV est donc l’occasion de prendre nos responsabilités. Si l’on met de côtés les situations où notre interlocuteur cherche délibérément à nous blesser – cela arrive, certaines personnes ayant une approche très immature des relations – alors nous pouvons admettre qu’il y a une différence entre ces deux interprétations du même état émotionnel :
– Cela me fait mal / me rend triste de ne pas avoir de tes nouvelles.
– Je n’ai pas de tes nouvelles et je me sens mal / triste. 

La différence entre ces deux phrases est microscopique au niveau de la forme, mais la différence de fond est énorme. Si vous observez bien les deux phrases, vous constaterez que la première exprime une causalité (« c’est ton silence qui me met dans cet état ») alors que la seconde exprime une concomitance, une juxtaposition. Pour mieux saisir la nuance, nous pouvons les reformuler ainsi :
– Tu ne réponds plus à mes messages, DONC j’ai mal, je me sens triste.
– Tu ne réponds plus à mes messages, ET j’ai mal, je me sens triste. 

Remplaçons le silence par un reproche, une parole blessante. Vous vous dites peut-être « si mon partenaire me fait un reproche, c’est forcément de sa faute si je me sens mal, puisque s’il ne n’avait pas agi ainsi mon état n’aurait pas changé et je me sentirais bien ». En effet, il y a concomitance entre les paroles de votre ami et votre sentiment de malaise. Pourtant, plongez dans vos souvenirs un petit moment. N’y-a-t-il pas des moments dans votre vie où une tierce personne a prononcé à votre encontre des mots injurieux sans que vous en soyez affecté ? Un inconnu un peu ivre dans la rue ? Une quêteuse que vous aviez rembarrée un peu sèchement ? Un clochard qui semblait ne plus avoir toute sa tête ? Un ancien partenaire amoureux éconduit et dépité ? Peut-être votre ami souhaite-t-il réellement vous blesser – je le répète, certaines personnes ont des comportements régressifs en matière de relations amoureuses – mais ces tierces personnes aux insultes desquelles vous êtes resté indifférent, ne voulaient-elles pas aussi vous blesser ? 

« Quand tu ne réponds plus à mes messages mon besoin de [communication / respect / complicité / insérer le ou les besoins concernés] n’est pas satisfait et j’ai mal, je me sens triste. » Cette phrase implique qu’à cet instant T vous misiez sur la stratégie « répondre à mes messages » pour nourrir votre besoin et que votre émotion n’est pas inféodée au comportement d’autrui mais à l’insatisfaction de votre besoin. D’autres absences de messages se sont peut-être produites plus tôt dans la relation sans que cela vous fasse sourciller. La situation n’était pas la même, vous étiez vous-même débordé et n’aviez pas remarqué ce silence, etc. 

Pensez à toutes les fois où vous vous êtes énervé dans une file d’attente un peu longue. Pensez ensuite à toutes les fois où, malgré l’attente interminable, vous êtes resté serein. Une même situation et pourtant des ressentis différents. Question de cadre et d’état d’esprit. En face d’un comportement tout à fait mesurable (qu’il soit condamné ou non par la norme sociale) demeure un facteur déterminant pour la suite des événements : la manière dont vous allez le prendre. « Prendre » est un verbe d’action. Il témoigne de la part de responsabilité qui vous incombe dans ce que vous faites ou non de ce qu’on vous offre. 

Attention cependant : je voudrais éviter de vous vendre une illusion de toute-puissance comme le font tant et tant de coachs. Pour des raisons liées à notre histoire personnelle et à notre biologie, nous subissons moult compulsions. Ici l’important est avant tout de comprendre que vous avez tendance à prendre les choses d’une manière plutôt que d’une autre, et de prendre conscience de vos compulsions. Essayez alors d’être indulgent avec vous-même : vous reprocher de ressentir des émotions fortes et soi-disant “négatives” comme la colère ou la tristesse serait vous condamner vous-même à une double-peine. Vous avez le droit d’être triste, vous avez le droit d’être en colère. Et si vous n’arrivez pas à être indulgent, soyez indulgent de ne pas être indulgent, et ainsi de suite.

La CNV, technique de communication ou psychothérapie ? Ici Marshall Rosenberg met en pratique la communication non-violente sans être enfermé dans le module « stratégie + besoin ». Reformulation, accueil des émotions, et liberté de se comporter en être humain imparfait. 

Prendre conscience de nos compulsions et de notre responsabilité* nous autorise à passer à l’étape suivante : développer la conscience que nous pourrions – souvent – voir les choses autrement, qu’il s’agisse de la file d’attente du supermarché ou du silence d’un partenaire amoureux.

*responsabilité n’est pas nécessairement synonyme de libre-arbitre 

3/ Ne pas devenir un robot CNV

Lors de notre éducation, la responsabilité ne nous est pas forcément inculquée par nos tuteurs. Chaque culture possède en effet des allants-de-soi culturels. Nous sommes conditionnés à penser que telle chose se fait ou ne se fait pas et qu’il y a une réaction « normale » à chaque situation, bien que 100 % des gens ne réagissent pas de la même manière à une même situation.

Les formulations CNV représentent donc une rupture qui peut paraître étrange au regard de ce à quoi nous sommes habitués. Ce n’est pas parce qu’un comportement est ancré dans les mœurs qu’il est fonctionnel (cf. la proportion d’égyptiennes excisées ou les infanticides au Bénin) mais rompre avec la norme vous rend potentiellement étrange.

Une formulation CNV comme : « J’ai un besoin [X] et te propose la stratégie [Y] pour y répondre. Qu’en penses-tu ? Et toi, quels sont tes besoins ? » ne paraît pas naturelle, parce qu’elle ne va pas de soi culturellement. Vous risquez de passer pour un psychorigide, même si votre interlocuteur est responsable de cette interprétation.

La dérive du « robot CNV » ne découle pas uniquement de l’interprétation d‘autrui : elle vient aussi des personnes qui utilisent des formulations CNV en étant coupées de leur vie émotionnelle. Le grand défi proposé par Rosenberg, c’est de conscientiser nos émotions. Or, là encore cela entre en conflit avec notre culture : énoncer nos émotions en dehors de certains contextes intimes ne fait pas partie des évidences de la culture occidentale. Au passage, je vous invite à bien distinguer l’expression d’une émotion par les actes (parler fort quand on est en colère) et l’énonciation d’une émotion, sa verbalisation.

 « Bonjour, je pratique la communication non-violente sans être connecté à mes émotions, veuillez énoncer votre module stratégie + besoin ». 

Pour éviter de sonner comme un robot CNV, le travail de conscientisation des émotions est fondamental. L’idéal est de commencer par des exercices d’auto-empathie. Face à une émotion agréable ou désagréable, demandez-vous quel besoin est nourri ou non. Octroyez-vous des moments où, seul, vous verbalisez ce que vous ressentez et pourquoi vous le ressentez. Vous découvrirez alors que vous disposez d’une surprenante réserve d’auto-empathie et que des parts de votre psyché réagissent à cette verbalisation. 

4/ La CNV n’est pas une panacée

En découvrant la CNV certaines personnes s’imaginent qu’un monde merveilleusement paisible est soudain à portée de main : ne détenons-nous pas là un outil conçu pour la négociation pacifique ? Une source de consensus illimitée ? Sauf que si nous allons au bout de la démarche CNV, nous constatons que nos besoins ne peuvent pas nécessairement être satisfaits par tout le monde, y compris par les gens dont nous espérons ardemment cette satisfaction.

Nous exprimons vos besoins, ils expriment les leurs, nous proposons mutuellement des stratégies jusqu’à obtenir satisfaction mutuelle. Ou jusqu’à découvrir que nous ne sommes définitivement pas sur la même longueur d’onde ou pas en mesure de trouver des stratégies satisfaisantes pour tous.

Vient alors le moment de se dire au revoir. Penser que toute relation peut être consensuelle serait un fantasme de toute-puissance. La CNV permet de confronter nos différences sans rajouter du conflit à l’incompatibilité. Si l’incompatibilité demeure irréductible, il est temps de continuer notre route chacun de notre côté, sans animosité superflue.* Comme le dit Marshall Rosenberg, « si cette personne ne peut pas satisfaire vos besoins, il en reste 7 milliards à qui vous adressez ».

* Soyons réalistes, ça c’est la théorie. Dans la pratique et pour puiser dans mon expérience personnelle, il y a tout un tas de personnes qui ont sciemment tenté de vandaliser ma vie et envers qui j’éprouve une animosité totalement assumée  : par exemple l’ex « de gauche » qui m’a volé de l’argent parce que je ne partageais pas ses opinions politiques et ce alors que mes revenus étaient largement inférieurs aux siens. Étrange conception de la justice sociale…

5/ Au-delà de la communication non-violente : l’art de s’abstenir

Avant que vous ne décidiez d’évangéliser le monde et de tendre l’autre joue à des gens qui n’ont pas la capacité de conscientiser leurs propres besoins, je vous mets en garde. De même qu’on peut rire de tout mais pas avec tout le monde, certaines personnes n’ont pas – du moins pour l’instant – les ressources psychologiques nécessaires à l’utilisation de la communication non-violente. À vous de faire preuve de bon sens et d’utiliser avec elles un langage qui leur est plus familier. 

Même avec les gens rompus à l’exercice je n’emploie que rarement le module « besoin + stratégie ». Mettez de l’eau dans votre vin et assouplissez votre application de la communication non-violente : il existe des formules qui permettent de se montrer bienveillant sans avoir l’air d’un robot : « je te propose », « est-ce que tu serais OK si… », « qu’en penses-tu ? », etc.

Et même en présence de quelqu’un avec qui la formulation académique pourrait fonctionner, écoutez-vous : la communication non-violente commence par soi-même. Il se pourrait qu’employer des formulations CNV ou s’en rapprochant ne vous permette pas, à un instant T, de nourrir tel ou tel besoin. Respectez cela, respectez-vous.

 

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