Source : https://www.lesechos.fr/weekend/perso/les-miracles-de-la-communication-non-violente-1211924
Par Jessica Berthereau
Publié le 29 mars 2019 à 10:26Mis à jour le 5 avr. 2019 à 10:13
L'article a bientôt 2 ans. Et je le trouve assez fidèle aux bases de la CNV.
J'aime bien cette proposition de Véronique :
Difficile de débrancher son cerveau pour se mettre à l'écoute de ses émotions… Pour y parvenir, nous travaillons à développer notre auto-empathie, par exemple en nous demandant comment nous allons vraiment. Un matin, Véronique propose de se poser trois questions distinctes :
Quel est mon niveau d'énergie ?
Comment je me sens sur le plan émotionnel ?
Quel est mon degré de présence ?
Fin janvier, rue de l'Ermitage à Versailles. Je m'engouffre rapidement dans le bâtiment. Dehors, le froid, la neige. Dedans, la chaleur du thé et du café qui accueillent les arrivants. Nous sommes vingt-quatre à nous être inscrits à cette formation de six jours. Dans la grande salle aux plafonds hauts et ornés de moulures, vingt-sept chaises sont disposées en cercle : autant que de stagiaires, plus la formatrice et ses deux assistantes. Au centre de la pièce, nos prénoms s'affichent sur des papiers colorés, évoquant les porte-noms que les profs nous demandaient de remplir au premier jour d'école. Au milieu, une petite girafe en peluche nous observe de ses grands yeux bienveillants. Elle est de circonstance : nous sommes là pour découvrir la « langue girafe ».
C'est le surnom parfois donné à la « communication non violente » (CNV), en raison des marionnettes utilisées pendant les séminaires de formation : la girafe symbolise la CNV, tandis que le chacal représente notre façon habituelle de penser et de parler. Pourquoi ce mammifère plutôt qu'un autre ? Son cou très long lui fait voir les choses avec hauteur. La CNV nous invite à l'imiter : à dézoomer, à observer les faits sans les évaluer. C'est la première étape d'un processus en quatre points défini à la fin des années 1960 par Marshall Rosenberg. La deuxième composante est d'identifier les sentiments qui apparaissent dans la situation ou face au comportement observé. Troisième étape : définir le ou les besoins à l'origine de ces sentiments. On est alors capable, quatrième étape, d'exprimer une demande concrète d'action qui viendra nourrir ce besoin.
Observations, sentiments, besoins, demandes. OSBD. Résumé ainsi en quatre petites lettres, cela paraît facile. Ce n'est pourtant qu'une douce illusion. « La CNV est à la fois le processus le plus simple et le plus complexe que je connaisse. Au bout de dix ans, j'en découvre encore les subtilités », assure Véronique Gaspard, notre formatrice. Ce qu'elle veut dire, c'est que si la CNV est aisée à saisir intellectuellement, elle est difficile à mettre en oeuvre avec conscience et authenticité. « Bien que, pour des raisons pratiques, il m'arrive de dire que la CNV est un 'processus' ou un 'langage' […] son principe même repose non sur la verbalisation, mais sur une prise de conscience des quatre composantes », écrit ainsi Marshall Rosenberg dans son célèbre ouvrage d'introduction à la CNV (voir « Pour aller plus loin », page suivante).
À l'écoute de nos émotions
Dès le début, Véronique insiste sur ce point : « On va lâcher l'idée que la CNV est une histoire de mots et se focaliser sur l'intention, qui est celle d'avoir une relation de qualité avec soi-même et avec les autres. » Ancienne infirmière, « passée de la réanimation cardio-pulmonaire à la réanimation de la communication », elle veut nous faire ressentir à quel point ce processus passe par l'écoute de notre corps et de nos émotions. « Il n'y a rien à apprendre, dit-elle, mais tout à redécouvrir. Il nous faut redevenir aussi malins que lorsque nous avions trois mois. » Je pense à mes neveux qui ont justement cet âge-là. C'est vrai qu'ils sont connectés en permanence à leur corps et à leurs besoins. Pas de présentation Powerpoint donc. Quelques explications théoriques, certes, mais surtout beaucoup d'exercices - où « il n'y a rien à réussir ni rien à rater » - seul(e), à deux, à quatre, tous ensemble. Et de nombreux moments d'échange et de partage. Au départ un peu déconcertée par cette approche, je comprends au fur et à mesure son intérêt. Il faut vivre le processus. « Le coeur du coeur de la CNV, c'est de devenir conscient de ce qui nous traverse : redevenir le cameraman, dézoomer… Montez sur une chaise au besoin », dit Véronique en riant, joignant la parole aux actes. Être davantage conscient est assez inconfortable au début, nous prévient-elle. Elle se souvient encore du choc provoqué par son premier stage de CNV : « J'ai subitement pris la mesure de mon niveau de violence. »
Pour Marshall Rosenberg, il existe plusieurs formes de communication qui « nous coupent de notre bienveillance naturelle » et « nous incitent à des comportements violents, envers les autres et nous-mêmes ». Il s'agit tout d'abord des jugements moralisateurs comme les interprétations, les généralisations, les étiquettes que l'on colle sur les gens et les situations, les reproches, les comparaisons… Il s'agit ensuite des exigences, la CNV insistant particulièrement sur la différence entre demande et exigence. Il s'agit enfin de toutes ces fois où nous nions notre responsabilité en disant « il faut », « je dois », « c'est obligé »… Il est beaucoup question de responsabilité dans la CNV, selon laquelle chacun est responsable de ses propres actes, pensées et sentiments. « Détricotons ce conditionnement qui nous laisse croire que nous sommes responsables des émotions des autres », nous répète à plusieurs reprises Véronique. L'idée est de passer de « l'esclavage affectif » à la « libération affective », un état « où nous assumons pleinement nos propres sentiments mais pas ceux des autres, tout en sachant que nous ne pouvons jamais satisfaire nos propres besoins au détriment de l'autre », écrit Marshall Rosenberg. Si l'on admet que les actes des autres peuvent être le facteur déclenchant mais jamais la cause de nos sentiments, quelle transformation dans notre façon de recevoir une parole ! Au lieu de se sentir fautif quand un reproche nous est adressé, on cherchera plutôt à percevoir quel besoin non satisfait chez l'autre est à l'origine de cette remarque. De même, lorsqu'on porte un jugement ou qu'on rejette la faute sur l'autre, on pourra s'interroger sur le besoin qui n'est pas satisfait chez nous. « Tout jugement est l'expression d'un besoin insatisfait », résume Véronique, qui nous invite donc à les accueillir comme tels.
Pour illustrer cela, nous travaillons sur un scénario fictif : la formatrice part faire une sieste en plein milieu de l'après-midi. Qu'est-ce que ce comportement suscite chez nous ? Chez l'une, qui se sentait piquer du nez, il est accueilli avec joie : elle va pouvoir faire de même ! Chez un autre, c'est plutôt la colère qui domine : son besoin d'apprendre ne sera pas satisfait si la formatrice se fait la malle… De fait, pour un même événement, nous avons tous des façons différentes de réagir, dont nous portons chacun la responsabilité. Un autre exercice nous éclaire sur la distinction entre observation et évaluation : sortie brièvement, Véronique entre de nouveau dans la pièce et réalise un mime qu'elle nous demande ensuite de décrire. « Elle est entrée et s'est arrêtée au milieu de la pièce », dit l'une. « Elle est pressée », dit un autre. « Elle nous prend pour des fous », dit une troisième personne. La première remarque est une observation mais les deux autres ne sont que des interprétations. « Quand nous mélangeons observation et évaluation, notre interlocuteur risque d'entendre une critique et de résister à ce que nous disons. La CNV est un langage dynamique qui déconseille les généralisations figées et les remplace par des observations circonstanciées », explique Marshall Rosenberg dans son livre. Ainsi, il est préférable de dire « il a froncé les sourcils » plutôt que « il est encore de mauvaise humeur ».
Il nous faut ensuite développer notre capacité à nous relier à nos sentiments et nos besoins. La clé est d'écouter son corps plutôt que sa tête. « Laissez vos pieds vous guider », conseille Véronique lors d'un exercice où nous cheminons entre des dizaines de mots étalés au sol et décrivant des sentiments. « Inspiré », « surpris », « démoralisé », « fatigué », « apaisé », « heureux », « égayé », « impatient », « tourmenté »… L'idée est de se laisser happer par celui qui correspond à notre état présent.
Faire don de sa présence totale
Mes yeux s'accrochent à « apaisé ». À moins que ce ne soit mon mental ? Difficile de débrancher son cerveau pour se mettre à l'écoute de ses émotions… Pour y parvenir, nous travaillons à développer notre auto-empathie, par exemple en nous demandant comment nous allons vraiment. Un matin, Véronique propose de se poser trois questions distinctes : quel est mon niveau d'énergie ? comment je me sens sur le plan émotionnel ? quel est mon degré de présence ? L'exercice se fait en silence et dans l'espace : nous nous plaçons sur un axe imaginaire traversant la pièce en diagonale allant de « très en forme » à « fatigué », de « joyeux » à « triste » et de « très présent » à « dans ses pensées ». Nous sommes tous étonnés de ce que nous découvrons en prenant le temps de poser ces simples questions. « On peut être à la fois épuisé et joyeux ! »
De l'auto-empathie, nous passons à l'empathie et je saisis la véritable signification de ce mot galvaudé. Il s'agit avant tout de faire cadeau de sa présence totale : il n'y a rien à dire, « juste » être présent. Quel défi que celui de développer une telle qualité d'écoute ! Lors de plusieurs exercices, où nous devons simplement écouter l'autre sans prononcer un seul mot, je découvre avec un réel émerveillement le pouvoir de l'empathie silencieuse. Là où j'aurais auparavant jeté deux, trois conseils, j'observe la personne en face de moi aller au plus profond d'elle-même en toute autonomie : dérouler son problème, trouver quel est son besoin et comment y répondre. Conseiller, donner des solutions n'est pas de l'empathie, tout comme de nombreuses autres habitudes de conversation que nous avons : expliquer à l'autre son problème, diagnostiquer, minimiser, banaliser, culpabiliser, dévier sur soi ou sur des anecdotes, clore, changer de sujet, dramatiser, surenchérir, questionner, consoler… « La véritable empathie, c'est juste un état d'esprit comme un immense 'je ne sais pas'. Nous écoutons, accueillons, reflétons peut-être, et finalement faisons confiance qu'il n'y a rien à faire ni de solution à trouver, et que juste le fait d'être là, complètement présent à l'autre personne, suffit », propose comme définition un texte anonyme que fait circuler Véronique.
Offrir à l'autre la chance de contribuer
À ce stade, nous approchons la fin de la formation, qui s'est révélée très éprouvante pour beaucoup d'entre nous. Le travail sur soi et avec soi, la reconnexion à son corps et à ses émotions, la prise de conscience de notre propre violence, la découverte de certains besoins criants et tant d'autres choses ont activé à de nombreuses reprises nos systèmes d'arrosage automatique, comme Véronique aime surnommer les larmes. Il nous reste encore à découvrir la dernière étape du processus de la CNV : la demande. « J'ai mis très longtemps à réellement comprendre cette notion, confie notre formatrice. Demander, c'est offrir à l'autre la chance de contribuer. » En effet, l'un des préalables sur lesquels repose la CNV est que les êtres humains aiment contribuer. Dans cette perspective, la demande à l'autre doit être claire, concrète, réalisable, formulée en langage d'action positif (dire ce que nous voulons et non pas ce que nous ne voulons pas) et, surtout, autoriser une réponse positive… ou négative. C'est ce qui la différencie fondamentalement de l'exigence. Cette distinction me fait réfléchir : combien de fois sommes-nous réellement prêts à recevoir un « non » ? « Tâchons d'être honnête avec nous-mêmes. Si c'est un ordre, c'est un ordre, ne le déguisons pas en demande », suggère Véronique.
Au final, le meilleur conseil qu'elle peut donner aux petites girafes que nous sommes, encore un peu branlantes sur nos pattes, est celui qu'elle nous laisse à la fin du stage : « Observez, observez, observez. » Tout d'abord ce qui se passe en nous : nos jugements, nos pensées, nos émotions, nos sentiments, nos besoins. Puis ce qui se passe chez les autres, mais sans chercher à les changer. Et en gardant toujours à l'esprit l'intention première : développer des relations de qualité.
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