Source : https://decroissances.ouvaton.org/2021/10/04/les-fins-de-la-nature-sont-impenetrables/
Michel Lepesant - philosophe
La responsabilité de la poursuite de la responsabilité
C’est le philosophe Hans Jonas qui publie en 1979 l’un des quelques livres qui fournissent un fondement philosophique à l’écologie : c’est Le Principe responsabilité (Das Prinzip Verantwortung).
Chacun connaît peu ou prou en quoi consiste ce Principe
responsabilité : « « Agis de façon que les effets de ton action soient
compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur
Terre. »
Ce Principe s’oppose à ce que le philosophe Kant (1724-1804) avait dégagé 2 siècles plus tôt comme fondement (Grundlegung) commun à toutes les morales qui se reconnaissaient dans la Règle d’or (2). A savoir que ce qui faisait qu’une action était morale, ce n’était pas ses conséquences mais son intention. La pureté morale de l’intention – son désintéressement matériel – constituait la pureté morale de l’action.
Pour Hans Jonas, cette pureté était caractéristique d’un monde dans lequel aucune action humaine ne pouvait le menacer et qui pouvait se permettre de proclamer : Fiat justitia, et pereat mundus ; que justice soit passe, le monde dût-il disparaître.
Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. A cause de la technique et de son potentiel apocalyptique.
Il faut ajouter qu’une morale de l’intention est strictement individuelle alors que l’éthique de la responsabilité concerne explicitement une obligation des générations actuelles vis-à-vis des générations futures. Ce dernier point est important car il permet de signaler toute l’incongruité d’évoquer – comme on l’entend si souvent en ces temps de pandémie – une responsabilité qui serait restreinte à la seule individualité. Bien sûr c’est un individu qui porte la responsabilité (comment pourrait-il en être autrement ?) mais toute responsabilité engage au-delà de la seule individualité… La responsabilité est une obligation non pas pour soi mais pour les autres.
Toute la difficulté philosophique pour Hans Jonas est précisément de fonder la responsabilité comme une extension de soi aux autres, du présent au futur, de ce qui est à ce qui doit être.
Le Principe responsabilité consiste à exiger que ce qui doit être, c’est que ce qui est continue à être.
« La possibilité qu’il y ait de la responsabilité, est la responsabilité qui a la priorité absolue » (page 143). Dans le domaine de la responsabilité, ce qui existe n’existe que pour exister et la responsabilité consiste à rendre toujours possible cette existence.
Le vivant est le fardeau des explications mécanistes
Pourquoi ? Parce que celui qui ne saurait pas ce que c’est que voir ne
pourrait jamais à l’aide des seules explications mécanistes de l’organe de la vue – l’œil – en découvrir la fonction. Dans chaque vivant, la fonction excède l’organe ; la finalité excède la causalité (efficiente).
Cela veut dire qu’aucune explication strictement objective ne pourra jamais rendre compte de ce que c’est qu’être (un) vivant. Cela ne veut pas dire que l’explication mécaniste n’a pas son utilité, cela veut juste dire que la finalité du vivant dépasse son utilité. Et cela est aussi vrai pour les écosystèmes dont l’organisation interne tient à un « jeu des possibles » (François Jacob), à un étagement de « paliers d’intégration » (Jacques Ruffié), entre « hasard et nécessité » (Jacques Monod), entre sélection naturelle (Ch. Darwin) et entraide (P. Kropotkine)…
Toute vie est projet d’autoconserver sa vie
C’est ce maintien de la finalité du vivant qui est l’objet de la responsabilité.
La responsabilité est à la mesure des être humains
Nous n’avons donc pas besoin d’inventer on ne sait quelle finalité extérieure à la nature (ce qui serait un intelligent design) pour s’en sentir responsable, nous n’avons pas besoin de prétendre en être les sauveurs ou les protecteurs, nous avons juste à prendre pour objectif de prendre la responsabilité d’en assumer la poursuite.
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